Avec La forêt des mal-aimés (Audiogram), Pierre Lapointe est assuré de réaffirmer son importance aux yeux de ceux qui voient en lui la voix la plus distincte de la nouvelle chanson québécoise. Paradoxalement, cet opus 2 apportera aussi de l’eau au moulin de ses détracteurs, qui voient en lui un dandy narcissique, un interprète au style et aux émotions empruntées, et qui se prend – suprême injure! – pour un Français.
Difficile, lorsqu’on pénètre dans la dense forêt de cet album, de ne pas comprendre ce qui hérisse ces mauvaises langues. Mais sa démarche est-elle répréhensible pour autant? Après tout, si Daniel Boucher s’est taillé une place au soleil en singeant le Charlebois des années 70, alors Lapointe sera le Julien Clerc de la même époque, avec ses fulgurances poétiques et ses univers musicaux parfois démesurés, au carrefour de Hair et de Tolkien.
Et si sa voix si particulière trahit une certaine affectation (et même une affectation certaine), elle a sa raison d’être, collant parfaitement à son personnage de mec qui se vautre dans une mélancolie capitonnée.
Chez Lapointe, pas question de se tailler les veines: le chagrin se boit comme un onctueux digestif, lorsque les invitées ont quitté le banquet de l’amour, et qu’on se laisse bercer par les sanglots longs des violons de l’automne.
Bref, on ne croit pas en sa salade, mais on n’a pas besoin d’y croire. En fait – et c’est là sa principale force – la magie Lapointe opère en marge de la véracité: dans son univers, la forme prime sur le fond, l’élégance sur les tripes.