À peine cinq minutes séparent son domicile de son lieu de travail. Pourtant, quand Agnès Faulcon parcourt ce même trajet chaque matin, elle a l’impression de franchir les frontières d’un monde invisible. Mme Faulcon est la directrice du Centre social de la Dhuys, à Clichy-sous-bois, centre névralgique à l’origine du déclenchement des émeutes qui ont secoué toute la France.
«C’est difficile à imaginer, on est ici à 15 km de Paris et pourtant, dans ces mêmes quartiers, les jeunes sont loin de tout», témoigne-t-elle en entrevue. Tous les jours, des journalistes viennent nous voir pour nous demander comment les gens peuvent vivre dans de telles conditions. Les façades des immeubles se sont dégradées au fil des années. Elles sont maintenant grises et abîmées. Les ordures sont mal ramassées, les rats circulent partout. On se croirait dans un bidonville quelque part à Soweto», s’exclame Mme Faulcon
Deux mondes parallèles
Les affirmations d’Agnès Faulcon mettent en lumière le contraste saisissant entre la France ordinaire, celle des classes moyennes, et une autre que plusieurs nomment «la France d’à côté» et qui a pour décor urbain les cités HLM où s’entassent une majorité de ménages à faibles revenus et en situation précaire.
Deux univers parallèles et pourtant radicalement opposés qui coexistent à seulement quelques kilomètres de distance. Tous les jours, Agnès Faulcon passe de l’un à l’autre. Le soir, elle quitte les murs de la cité, rentrant chez elle pour retrouver la France telle qu’on la connaît, celle de bourgades tranquilles dotées de petits pavillons résidentiels, d’une place de marché et d’un café-tabac où une poignée d’habitués se réunissent et aiment à donner leur avis sur tout.
C’est à cette réalité d’une société aux deux visages que le monde s’est éveillé, parfois avec surprise, lors des deux dernières semaines. «Les Français se sont aperçus qu’ils vivent, comme tous les autres pays du monde, dans une société à deux vitesses, avec d’un côté, l’existence de classes moyennes et de l’autre, la formation de ghettos avec une ségrégation sociale et raciale qui s’est renforcée au fil des ans au point que le mélange de population est de plus en plus faible», commente Didier Lapeyronnie, auteur du livre Les Quartiers d’exil et professeur de sociologie à l’Université Victor-Segalen à Bordeaux.