Le gouvernement travaille dans le noir, selon le vérificateur de l’Ontario

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Publié 06/12/2011 par François Bergeron

Les ministères et les organismes provinciaux doivent améliorer leurs efforts visant à recueillir des renseignements utiles et fiables au sujet de leurs programmes, a déclaré le vérificateur général de la province, à l’occasion de la parution de son Rapport annuel 2011 ce lundi 5 décembre.

«Compte tenu des défis financiers auxquels l’Ontario fait face à l’heure actuelle, il est d’autant plus important de pouvoir compter sur une information adéquate qui aidera à prendre les meilleures décisions», a mentionné Jim McCarter, en précisant qu’il a soulevé ce problème dans ses huit rapports annuels précédents. «Cette année, nos vérifications ont relevé certains cas où une information de meilleure qualité aiderait la direction à améliorer le fonctionnement des programmes et contribuerait à orienter la planification stratégique à long terme.»

Autrement dit, le gouvernement travaille dans le noir: souvent, il ne sait pas si ses lois et ses directives sont suivies, si ses politiques donnent les résultats escomptés, si ses subventions sont bien dépensées… Et ça fait plusieurs années que le vérificateur le mentionne…

Parmi les exemples de cas où l’obtention de «renseignements de meilleure qualité» s’avère nécessaire, le vérificateur cite l’assurance auto, les énergies vertes, la dette de l’Hydro, la gestion de la forêt, la rémunération des médecins, l’aide juridique, le prix de l’alcool, l’avocat des enfants, les subventions de la Fondation Trillium, le rapport entre les taux de diplomation et les taux d’emploi, le soutien aux déficients intellectuels.

Les prix de l’alcool

Les médias ont évidemment sauté sur l’exemple le plus racoleur, surtout en ce Temps des Fêtes: les prix de l’alcool! (Le rapport du vérificateur est toujours un cadeau pour les médias et pour les partis d’opposition, et l’équivalent d’une visite chez le dentiste pour le gouvernement.)

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Jim McCarter écrit que si la Régie des alcools de l’Ontario «mettait à profit le pouvoir d’achat qu’elle possède en tant que l’un des plus importants acheteurs d’alcool au monde pour obtenir des prix de gros inférieurs, elle pourrait alors déterminer si le fait de payer des prix plus bas lui permettrait toujours d’atteindre ses objectifs en matière de prix de détail tout en augmentant ses marges bénéficiaires».

Rebouchez le champagne: le vérificateur ne demande pas à la LCBO d’abaisser ses prix. Il suggère simplement à la Régie de s’assurer d’obtenir de meilleurs prix de gros à l’importation pour maximiser ses profits.

Après tout, historiquement, les deux raisons qui font que la vente d’alcool est un monopole étatique en Ontario (et dans la plupart des provinces canadiennes) sont: pour maintenir des prix élevés décourageant les gens de se saouler tous les soirs; et pour enrichir le trésor public. C’est encore une taxe sur un péché, pas un commerce comme les autres.

Assurance auto

À l’émission d’affaires publiques Relief de TFO, le chroniqueur de politique provinciale du Toronto Star Martin Regg Cohn affirmait récemment que l’assurance auto générait le plus grand nombre de plaintes et de commentaires négatifs enregistrés par les candidats qui frappaient aux portes lors de la dernière campagne électorale. Si on offrait aux Ontariens le pouvoir de réformer un seul secteur, ce serait celui-là qu’ils choisiraient!

«Les Ontariens paient des primes d’assurances automobile considérablement plus élevées que les autres Canadiens en raison des coûts élevés des indemnités d’accident», indique le vérificateur général. «Cependant, la commission qui est chargée de surveiller le secteur de l’assurance automobile ne sait pas si les assureurs traitent les demandes de règlement de façon judicieuse et versent des indemnités appropriées, et elle doit disposer de meilleurs renseignements concernant les répercussions qu’ont les fraudes en matière d’assurance sur les coûts des demandes d’indemnisation.»

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Remarquez ici que le vérificateur ne confirme pas que les indemnités sont plus élevées en Ontario, il mentionne seulement que c’est la raison officielle invoquée par l’industrie. Et on sait tous que l’industrie de l’assurance n’est peuplée que de gens qui ont à coeur les intérêts de leurs clients… qui ont le choix entre acheter leur produit ou rouler en vélo.

Le 2 décembre, donc juste avant le dépôt du rapport du vérificateur, comme en réaction prémonitoire à ce chapitre sur l’assurance auto, le gouvernement McGuinty affirmait s’attaquer à la fraude dans ce secteur. Un Groupe de travail a présenté ses recommandations préliminaires (son rapport final est attendu dans un an seulement) proposant notamment de créer une unité d’enquête spécialement consacrée à la fraude, ainsi qu’un portail Web unique réservé aux demandeurs d’indemnisation des assurés.

«Le gouvernement cherche à faire en sorte que le coût de l’assurance-automobile reste abordable», soutient le ministre des Finances, Dwight Duncan, qui fait remarquer que les indemnités versées aux victimes en Ontario se distinguent comme «les plus généreuses à l’échelle du Canada».

Ce que dit Jim McCarter, toutefois, c’est que la commission de surveillance de l’industrie NE SAIT PAS si les assureurs versent bel et bien les indemnités en question!

(Une anecdote ici, qui a plus ou moins rapport: il y a quelques années, j’ai été accusé d’une infraction au Code de la route, ce dont a eu vent immédiatement ma compagnie d’assurance auto. La police et le ministère des Transports, en effet, partagent ce genre d’information avec l’industrie. Conséquence: la compagnie m’a annoncé que ma prime allait bientôt doubler. Or, six mois plus tard, je passe en Cour et je suis acquitté. «Prouvez-le», m’a dit mon assureur. C’est difficile, car un juge qui déclare un non-lieu ne fait que vous renvoyer chez vous, sans vous remettre son verdict par écrit. Ma compagnie d’assurance, qui m’a présumé coupable jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais voulu entendre raison. J’ai trouvé un autre assureur qui a accepté de me prendre à un tarif raisonnable; mais, comme sans doute d’autres Ontariens avec d’autres histoires semblables ou pires, cette expérience m’a laissé dubitatif face au système actuel.)

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Énergies vertes

«La Loi de 2009 sur l’énergie verte et l’économie verte accorde au gouvernement le pouvoir d’accélérer le développement des projets d’énergies éolienne et solaire, et ce, en l’absence de bon nombre des processus habituels de planification, de réglementation et de surveillance. À l’avenir, il importera que les décideurs gouvernementaux disposent de renseignements qui les aideront à établir le juste équilibre entre la promotion de l’énergie verte et l’augmentation des tarifs d’électricité que paieront les foyers et les entreprises.»

Le vérificateur Jim McCarter entre ici de plain-pied dans un débat qui est au coeur de l’action du gouvernement libéral de l’Ontario et qui a été largement évoqué lors de la campagne électorale en vue du scrutin du 6 octobre: la hausse de la facture d’électricité des ménages et des entreprises provoquée par les tarifs de rachat garantis (TRG), c’est-à-dire des prix artificiellement élevés, consentis aux énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne.

Le gouvernement prévoit qu’en 2018, ces énergies vertes fourniront environ le quart de l’électricité disponible en Ontario (c’est très optimiste), un peu plus que le gaz et que l’hydro, un peu moins que le nucléaire. Aujourd’hui, elles comptent pour moins de 10%, le nucléaire pour près de 50%. Incidemment, Jim McCarter croit qu’il se produit trop d’électricité en Ontario par rapport à la demande, mais évidemment le contraire serait plus préoccupant.

On est en droit ici de se demander ce que le vérificateur vient faire dans ce débat, qui en est un de choix de politiques et non de gestion ou d’application des politiques. M. McCarter ne nie pas au gouvernement le droit d’adopter ses politiques «vertes», dont on savait et acceptait qu’elles allaient augmenter la facture d’électricité. Mais il les critique quand même, au nom d’un chimérique «équilibre» à respecter entre l’approvisionnement en énergies renouvelables et la facture d’électricité pour les consommateurs.

Au début de ce chapitre, qui fait 38 pages, le vérificateur prend la peine de préciser que le ministère de l’Énergie et l’OEO (Office de l’électricité de l’Ontario, l’une des cinq agences impliquées avec la CEO, la SIERE, l’OPG et Hydro One) «ont examiné et approuvé notre objectif de vérification» qui comprenait: «s’assurer que les ressources en énergies renouvelables sont obtenues de manière rentable». Or, d’emblée, on sait et on accepte que c’est impossible. Un autre exemple de mauvaise communication?

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Gestion de la forêt

Le rapport du vérificateur de l’Ontario contient (toujours) une foule de commentaires à faire dresser les cheveux et à se demander à quoi sert vraiment l’administration publique.

En matière de gestion de la forêt, par exemple, Jim McCarter souligne que «le ministère des Richesses naturelles doit disposer d’une information plus fiable lui permettant de savoir si les forêts de l’Ontario sont régénérées comme il se doit par les sociétés forestières privées».

Car, apparemment, les fonctionnaires chargés de cette surveillance ne savent pas si les entreprises respectent leurs promesses ou non en matière de reforestation! Ce n’est quand même pas d’hier qu’on coupe du bois au Canada.

Soutien aux déficients intellectuels

Même ignorance en matière de soutien aux déficients intellectuels: «le ministère des Services sociaux et communautaires fait appel à des centaines d’organismes communautaires pour assurer la prestation de la plupart des services que fournit son Programme de services de soutien afin d’aider les personnes ayant une déficience intellectuelle à vivre chez elles et à travailler dans leur collectivité. Cependant, le ministère ne savait pas si les organismes fournissaient un niveau de service approprié en contrepartie du financement reçu, et il ne connaissant pas l’ampleur des demandes de services non comblées.»

Avocat des enfants

«À ce jour, le Bureau de l’avocat des enfants a refusé à sa discrétion 40% des affaires concernant les droits de garde et de visite qui lui ont été renvoyées par les tribunaux, mais il n’a jamais formellement évalué les répercussions de ces refus sur les enfants, les parents, les tuteurs et les tribunaux.»

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Aide juridique

«L’Ontario est la province qui dépense le plus par habitant au titre de l’aide juridique, mais elle aussi celle où le moins grand nombre de personnes à faible revenu profitent d’une représentation juridique pleine et entière. Par conséquent, plus de personnes doivent se tourner vers le site Web d’Aide juridique Ontario et les avocats de service des salles d’audience. Aide juridique Ontario ne dispose pas de l’information requise pour évaluer les répercussions de cette situation sur les besoins juridiques des personnes à faible revenu.»

Subventions de la Fondation Trillium

«La Fondation Trillium de l’Ontario verse tous les ans plus de 100 millions $ sous forme de subventions à des groupes à but non lucratif et de bienfaisance. Bien que la Fondation dispose d’un processus bien établi d’évaluation et d’approbation des demandes de subvention, souvent, la documentation à l’appui ne montrait pas que les projets les plus méritoires recevaient un financement raisonnable et que les fonds étaient utilisés aux fins prévues.»

Peu de surprises ici: un grand nombre de projets douteux ou carrément bidon reçoivent néanmoins des centaines de milliers de dollars de la Fondation Trillium et d’autres organismes d’aide aux arts et aux groupes communautaires. Parfois, les bonnes intentions sont au rendez-vous mais dépassent les compétences. Il arrive cependant assez souvent qu’on propose n’importe quoi à des fonctionnaires qui se cherchent de l’ouvrage, et qu’on gagne le gros lot!

Diplômes et emplois

Le plus fort (à mon avis) dans le rapport du vérificateur, c’est la découverte qu’il y a cinq ans, «le ministère de la Formation et des Collèges et Universités a cessé de recueillir, auprès des 470 collèges privés d’enseignement professionnel, des renseignements sur les taux de diplomation et les taux d’emplois après l’obtention du diplôme.»

Le vérificateur précise que «les étudiants qui ont répondu à notre sondage ont mentionné que ce type d’information les aiderait grandement à faire un choix concernant leur carrière future.» Duh!

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Après on se demande pourquoi on a de la misère à faire correspondre le système d’éducation au marché de l’emploi!

Rémunération des médecins

Le plus gros, parce que ça touche un secteur qui bouffe la moitié des dépenses du gouvernement provincial, c’est le commentaire – plutôt désinvolte – du vérificateur sur des changements apportés aux modes de rémunération des médecins: «Bien que ces changements se soient soldés par une augmentation considérable des coûts, le ministère ne sait pas si ces mesures ont produit les avantages escomptés.»

Au moment où le ministre des Finances attend le rapport de Don Drummond sur la réforme des services publics de l’Ontario, le vérificateur Jim McCarter vient dire qu’on évalue encore mal plusieurs des services tels qu’ils sont fournis depuis des années. Il faudrait peut-être commencer par ça?

www.auditor.on.ca/fr/rapports_2011_fr.htm

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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