Le français brille par son absence dans les dépliants des candidats

Élections fédérales 2006

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Publié 21/02/2006 par Marta Dolecki

À l’approche des élections fédérales, moins de deux semaines avant le scrutin, le ton se durcit dans les différentes circonscriptions de la Ville-Reine. Les représentants locaux des trois grands partis sont fins prêts et rodés pour la bataille. Lors de débats improvisés, on peut les voir se livrer à de chaudes luttes pendant lesquelles ils n’ont de cesse de s’invectiver sur les tenants et les aboutissements de leurs politiques.

À l’entrée, les militants des différents partis tentent de rallier les électeurs encore indécis en distribuant tracts, dépliants et badges aux couleurs de leurs candidats respectifs. Effervescence aussi dans les bureaux de campagne qui restent ouverts tard dans la soirée. Les Torontois peuvent venir y consulter les différentes plateformes électorales et ainsi faire leur tri parmi la pléthore d’idées énoncées sur papier.

Pendant ce temps, les dépliants des candidats locaux aux élections fédérales commencent à faire leur apparition dans les boîtes aux lettres des électeurs. Toronto-Centre, Danforth, Trinity-Spadina. St. Paul – autant de circonscriptions où les partis devront recueillir un maximum de suffrages une nouvelle fois.

Pas de français à l’horizon

Sur le terrain, les brochures des candidats permettent de se familiariser avec la liste de leurs priorités et accomplissements passés à l’échelle du comté. Surtout, ces documents font la liste des différents enjeux locaux au cœur de la bataille électorale.

Seule ombre au tableau: dans ces mêmes dépliants, l’unilingui-s-me anglais est de mise, quand ce ne sont pas les messages délivrés en portugais, en cantonais, ou bien encore en italien et en espagnol. Dans ce foisonnement de langues censées cibler les différentes communautés, de français, point à l’horizon.

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Or, si le fédéral reconnaît l’existence du français et de l’anglais comme étant les deux langues officielles du Canada – et ces élections sont bien des élections fédérales – comment se fait-il que le français figure aux abonnés absents de la campagne des candidats locaux aux élections fédérales?

Une surprise sans vraiment l’être puisque, selon le Comité français de la Ville de Toronto, les francophones dans la Ville-Reine représentent moins de 2% de la population totale, soit une goutte d’eau jetée dans l’océan comparé à l’électorat chinois, polonais ou encore italien, concentré dans des quartiers bien délimités qui ont pour noms Chinatown, Parkdale ou encore la Petite Italie.

Dans ce contexte, les francophones, minoritaires, privés de quartier officiel, représenteraient donc un poids politique moindre, si l’on s’en tient à la théorie, aux chiffres seuls. Cependant, en pratique, sur le terrain, ce sont autant de communautés – québécoise, française, congolaise, algérienne, marocaine – qui vouent un fort attachement à leur langue et à leur(s) culture(s). Presque tous ont grandi ou immigré avec, en tête, la vision du français comme faisant partie des deux langues officielles du Canada. Du coup, ils ne comprennent plus très bien.

Communiquer ses idées à la seule majorité?

Face à l’absence du français dans la campagne, et ce, à moins de deux semaines du scrutin, certains francophones se sentent lésés et comme oubliés par leurs élus locaux. En réaction, ils n’hésitent pas à leur faire parvenir des plaintes, pour, sinon faire valoir leur poids sur la scène politique, du moins, pour rappeler aux politiques l’existence d’une communauté francophone à Toronto.

Aussi étonné qu’eux par la quasi-inexistence du français dans les dépliants des candidats locaux, L’Express a tenu à en savoir plus, allant directement demander aux représentants des partis si cet oubli – volontaire ou non – pouvait avoir un effet majeur sur le visage linguistique qu’ils voulaient donner de leur campagne?

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En entrevue, le candidat libéral pour la circonscription de Toronto-Centre, Bill Graham, explique que la politique est avant tout une affaire de communication, de transmission du message. Ce dernier doit être concis, simple et efficace.

Il reconnaît que ses collègues libéraux se présentant dans des comtés dotés d’une forte proportion d’immigrants auront tendance, par exemple, à faire imprimer leurs dépliants en portugais, simplement parce que la communauté portugaise constitue une majorité électorale qu’ils désirent cibler.

À ce jour, Bill Graham, lui, fait imprimer son dépliant uniquement en anglais. Inclure le français? «Il faudrait compter le frais de traduction, d’impression et de distribution. Il faudrait savoir si les gens résidant dans l’appartement 18 C de tel immeuble parlent français. C’est quasiment impossible», rétorque M. Graham quand on lui pose la question.

Son directeur de campagne, Jeremy Broadhurst, précise que, dans les derniers jours du scrutin, vers le 20 janvier, un document imprimé dans 10 langues, dont le français, sera remis aux électeurs de Toronto-Centre, une circonscription où l’on parle pas moins de 57 langues et qui comprend des francophones répartis dans les quartiers de St James Town, de Regent Park, mais aussi à Hahn Place.

Loi du nombre contre les langues officielles

Au fond, la loi du nombre semble l’emporter sur le statut des langues officielles dans la présente campagne. Fervents partisans de la diversité culturelle, les néo-démocrates de Jack Layton ont toujours mis un point d’honneur à imprimer leurs dépliants électoraux dans toute une palette de dialectes accessibles à la communauté chinoise de Toronto. La brochure de la candidate NDP Olivia Chow, dans la circonscription de Trinity-Spadina, n’échappe pas à la règle.

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Seul hic: là encore, le dépliant de Mme Chow n’est pas disponible en français – fait curieux pour un parti champion de la diversité raciale et culturelle, ont souligné certains francophones vivant dans la circonscription de Trinity-Spadina.

Marion Nader, directrice de campagne pour la candidate NDP de Trinity-Spadina, assure qu’il existe bien une documentation en français accessible aux résidents francophones vivant dans la circonscription. Une demi-heure après avoir requis cette même documentation, c’est le dépliant électoral de Jack Layton, le leader national du parti, qui apparaît dans la boîte courriel.

On connaît bien le programme, les priorités du NDP à l’échelle du pays. Quant aux accomplissements et aux priorités locales d’Olivia Chow, on n’en saura pas plus… en français, à une heure où, actualité oblige, les Torontois, francophones inclus, s’inquiètent sur toute une rangée de sujets allant du contrôle des armes à feu en passant par la baisse du taux de criminalité, l’inclusion des communautés immigrantes ou encore, l’amélioration du système de transports en commun.

1 900 électeurs francophones dans les Beaches

L’enquête sur l’absence du français dans les dépliants locaux continue avec une échappée vers l’Est de la ville, dans la circonscription de Beaches-York, un bastion électoral regroupant pas moins de 1 900 francophones répartis de part et d’autre du comté. Le candidat du Parti conservateur, Peter Conroy, explique qu’il possède à son actif une équipe de bénévoles capables de s’exprimer en français. Ces derniers ont pour mission de faire du porte à porte ou, encore, de contacter par téléphone l’électorat francophone dans le but de conquérir ces mêmes voix.

La tâche est difficile. Si les noms asiatiques sont facilement reconnaissables, les francophones peuvent posséder des noms de famille à consonance italienne, roumaine, polonaise, et – assimilation oblige – un Pierre Garneau ou un Paul Favreau sont anglophones et non francophones comme leur nom de famille pourrait l’indiquer à première vue. Là encore, faute de temps et de fonds suffisants, Peter Conroy remarque que l’intégralité de sa brochure est imprimée en anglais, pour faire passer le message de manière effective à la majorité, explique-t-il.

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Au final, les brochures imprimées en anglais, en cantonais, en italien, en portugais, sont-elles un simple calcul stratégique destiné à remporter le vote de la majorité ou, au contraire, reflètent-elles un manque de volonté politique quant à la reconnaissance du français comme langue officielle dans la campagne électorale?

Chaque parti, les verts inclus, admet avoir des bénévoles bilingues capables de fonctionner en français. Ce ne sont donc pas les frais de traduction de l’anglais au français qui viennent poser problème. La semaine dernière, quelques heures après s’être entretenu avec L’Express sur la question des dépliants électoraux unilingues anglais, Bill Graham a annoncé qu’il ferait imprimer 2 500 nouvelles brochures en français. Ces dernières seront distribuées par ses bénévoles aux francophones de Toronto-Centre cette fin de semaine.

Si son parti est capable de prendre une telle décision en moins d’une journée, pourquoi pas les autres? Preuve en est que, pour faire valoir ses droits, il suffit parfois de demander – surtout à une période où, à la lumière des prochaines élections fédérales, les chefs de partis sont peut-être plus réceptifs que d’habitude aux requêtes des différentes populations de la Ville-Reine.

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