Le dernier rapport de Dyane Adam sur les langues officielles

Harper doit prendre un tournant décisif

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Publié 16/05/2006 par Marta Dolecki

«Le gouvernement doit revoir son rôle de catalyseur pour orienter et accélérer la bonne mise en œuvre de la loi. C’est ce que j’attends de M. Harper», affirme d’un trait la commissaire aux langues officielles, Dyane Adam, au lendemain de la remise de son septième et dernier rapport.

Diplomate, Mme Adam dit préférer laisser leur chance aux coureurs, même si, en matière de langues officielles, la performance du gouvernement Harper dans ses premiers mois à la tête du pays l’inquiète plus que de rigueur.

Absence de financement additionnel dans le budget, mention de la dualité linguistique non plus comme «valeur fondamentale» mais comme simple «atout»: les signaux envoyés par le nouveau gouvernement conservateur ne laissent présager rien de bon pour l’avenir des langues officielles au pays.

Et il est vrai qu’à plusieurs reprises, le premier ministre a raté le tournant en omettant d’exprimer son engagement sur cette même question. Les occasions n’auraient pourtant pas manqué dans plusieurs discours. «C’est timide», résume Mme Adam à ce propos. «Si cette tendance à toujours vouloir retarder les choses se poursuit, vraiment-là, oui, il y aura matière à s’inquiéter de façon plus sérieuse.»

À brûle-pourpoint, le rapport annuel sur les langues officielles arrive sur la table du gouvernement, sinon pour entièrement corriger la donne, du moins, pour rectifier le tir quant à l’avenir de la dualité linguistique au pays. Des mots qui, jusque-là, n’ont pas été entendus très souvent dans la bouche du premier ministre Harper.

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Bons et mauvais élèves

Comme à chaque bulletin, le rapport sur les langues officielles comporte, cette année encore, la liste des bons et des mauvais élèves. Si des institutions fédérales comme Statistique Canada et Santé Canada brillent par leurs pratiques exemplaires, d’autres mauvais élèves, Air Canada, Pêches et Océans, Travaux publics, accusent plusieurs trains de retard quant à l’intégration de la dualité linguistique dans leur culture organisationnelle.

Si, à proximité de la capitale nationale, les citoyens peuvent être servis trois fois sur quatre dans la langue de leur choix, ce taux diminue rapidement dès que l’on s’éloigne d’Ottawa. Dans la région de Toronto, les institutions publiques fédérales obtiennent la note de passage de 6/10 quant aux services dispensés dans les deux langues, soit à peine plus que la moyenne.

«Est-ce que c’est acceptable? Bien sûr que non», répond du tac au tac la commissaire. Pour pleinement respecter la Loi sur les langues officielles, ce n’est pas trois fois, six fois, c’est 10 fois sur 10 que les citoyens devraient être servis dans la langue de leur choix», fait-elle valoir.

La loi du nombre ne justifie pas tout

Une réflexion pertinente contenue dans le rapport porte sur la modification du Règlement sur les langues officielles, un énoncé qui date de 1992 et apparaît désuet à la lumière des réalités actuelles.

«Cette réglementation ne tient plus la route. Elle ne touche pas le service au public, pas plus que la question de la vitalité et de la promotion linguistique, souligne Mme Adam. Ce que je propose au gouvernement, c’est qu’il modernise le Règlement et l’étende à d’autres parties de la Loi, comme la langue de travail, afin que les énoncés forment un ensemble cohérent.»

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Appliqué comme tel, le Règlement sur les langues officielles de 1992 fait en sorte que les services bilingues soient offerts seulement là où les minorités linguistiques représentent 5% de la population totale de la région. Or, ce critère basé sur la loi du nombre donne parfois lieu à des situations incongrues. Et le rapport de citer l’exemple des francophones installés à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse. Bien qu’ils soient 625 au total, ces derniers ont droit à des services dans leur langue, parce qu’ils représentent plus de 8% de la population totale.

En revanche, dans les métropoles comme Vancouver, ils sont plus de 30 000 à sillonner la ville à la recherche d’un guichet dispensant des services en français, parce que, dans les nombres, ces mêmes francophones ne représentent que 2% de la population. Ils n’ont dès lors accès qu’à un seul bureau local prestataire de services en français.

«Comment, dans ces cas-là, peut-il être question d’accessibilité réelle et de services de qualité égale», s’interroge le rapport. Cette situation se retrouve dans une moindre mesure à Toronto où il faut parfois se rendre aussi loin que Mississauga pour y trouver un bureau dispensant des services en français.

Tenir compte de la «spécificité» d’une communauté

Plutôt que de miser sur la seule loi du nombre, c’est toute la distribution des services fédéraux, déterminés en fonction de la spécificité d’une communauté, que Dyane Adam désire repenser. Dans le cas de la Ville-Reine, cette spécificité pourrait reposer sur des critères géographiques et non plus simplement mathématiques, de suggérer la commissaire.

«On sait qu’à Toronto, il n’y a pas de quartier francophone comme tel. Il y a en revanche des institutions francophones comme les centres de santé, les collèges, les universités. Ce qui serait intéressant, c’est de penser à des guichets uniques bilingues. À Toronto, dans tous les endroits où se concentre la francophonie, ces bureaux pourraient venir délivrer l’ensemble des services, non seulement au niveau fédéral, mais également au niveau provincial», avance-t-elle.

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Les mesures pressantes: le cas d’Air Canada

Cette année, le Commissariat aux langues officielles a reçu un total de 939 plaintes provenant de particuliers. Sur ces 939 plaintes, plus de 80% ont été émises par des francophones. Encore une fois cette année, Air Canada se retrouve au cœur de la tourmente.

La compagnie arrive en tête de liste, récoltant pas moins de 69 plaintes, toutes émises par différents citoyens à l’échelle du pays. «Ces plaintes concernent autant les services au sol, que ceux dispensés à bord de l’avion, quand les agents n’offrent pas aux passagers la possibilité de communiquer dans la langue de leur choix», explique Mme Adam.

La restructuration de la compagnie aérienne a créé un vide juridique, en partie responsable de la situation, poursuit la commissaire. Cette dernière compte corriger la situation en soumettant au gouvernement un projet de loi pour s’assurer que la compagnie aérienne soit véritablement assujettie à la Loi sur les langues officielles.

Paroles de fin de mandat

Loin d’être pessimiste, Mme Adam lance un regard vers le futur et préfère mesurer le chemin parcouru à la lumière des progrès accomplis. Le projet de loi S-3 qui oblige Ottawa à prendre des «mesures positives» pour favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques constitue pour Dyane Adam un beau cadeau au moment de partir.

À ce stade, ne reste plus que le bon vouloir du gouvernement Harper qui doit faire preuve d’un leadership fort pour amorcer ce nouveau virage en matière de langues officielles.

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Lors des mois précédant la victoire des conservateurs, Stephen Harper avait apposé sa signature au bas d’un document officiel dans lequel il s’engageait à faire la promotion de la dualité linguistique. On se souvient également que le même Stephen Harper a fait du principe d’imputabilité son principal cheval de bataille. Les belles promesses du premier ministre seront-elles enfin validées par des actions concrètes en matière de dualité linguistique et de langues officielles? C’est désormais la question qui brûle les lèvres de tous les parlants français.

Le dernier rapport sur les langues officielles peut être consulté dans son intégralité sur Internet, à l’adresse suivante: http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/ar_ra/2005_06/2005_06_f.htm.

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