Le CRTC malmené, pour le meilleur et pour le pire

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Publié 09/02/2011 par François Bergeron

Vous connaissiez l’existence du Comité mixte permanent d’examen de la réglementation? Moi non plus. Vous saviez que Bell et Rogers vous facturaient l’accès à l’internet en fonction de la quantité de films ou de chansons que vous téléchargez? Comme vous, j’ai appris ça la semaine dernière. Vous étiez au courant que Wind Mobile, nouveau venu au Canada dans le marché de la téléphonie sans fil, était financé par des Égyptiens? C’est Public Mobile, financé par des Américains, qui nous a alertés.

Toutes ces nouvelles ont en commun d’impliquer le CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, l’agence fédérale qui règlemente le vaste marché des ondes, du téléphone et des «nouveaux médias» électroniques. (Y a-t-il des nouveaux médias non électroniques? Ça serait original!)

Tribunal administratif, le CRTC rend des centaines de verdicts chaque année, surtout des renouvellements de licences de stations de radio et de télévision, mais parfois des décisions plus médiatisées, comme l’octroi d’une licence à la télé d’affaires publiques et d’opinions Sun News, qui tentera dans quelques mois de déstabiliser CBC et CTV.

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Le président du CRTC, Konrad von Finckenstein, ex-juge à la Cour fédérale qui s’est déjà prononcé en faveur de la liberté de téléchargement de la musique, ex-président du Bureau de la concurrence et ex-haut fonctionnaire qui a participé aux négociations du traité de libre-échange canado-américain, est descendant de comtes allemands. Compare-t-il ses notes avec Michael Ignatieff, descendant de comtes russes?

En lien avec une décision rendue le 25 janvier qui provoqué une levée de boucliers chez les internautes, il a réitéré récemment, devant le comité parlementaire de l’Industrie (le CRTC relève du ministère de l’Industrie de Tony Clement), sa conviction qu’il était parfaitement équitable que les usagers d’internet soient facturés en fonction de l’utilisation qu’ils en font, c’est-à-dire selon la quantité de giga-octets qu’ils monopolisent sur les «bandes passantes» de Bell ou les câbles de Rogers.

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C’est un excellent principe économique qui s’applique particulièrement aux ressources comme l’eau et l’électricité et, en fait, à presque tout ce que nous consommons. Mais c’est une mauvaise comparaison ici: l’utilisation de l’eau ou l’électricité comporte un coût social, environnemental, alors qu’on ne veut pas rationner la consommation d’internet, de musique, de cinéma, de littérature: ça dynamise l’économie et toute la société.

À ce que je sache, Bell ne me facture à la minute que les appels interurbains: pour les autres, la grande majorité, j’ai droit à un forfait illimité. Rogers, lui, est passé maître dans l’art de me faire payer une centaine de chaînes de télé alors que je n’en regarde qu’une dizaine… Il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans.

On a aussi comparé les bandes passantes aux autoroutes auxquelles il faut ajouter des voies s’il y a trop d’utilisateurs. C’est encore une mauvaise comparaison: ajouter des bandes passantes ne coûte presque rien et augmente de façon exponentielle la capacité de transmettre des giga-octets d’information, de science et de culture. On ne peut pas – on ne veut pas – élargir les autoroutes à l’infinie, mais les bandes passantes et la fibre optique oui.

Les «grosses télécoms», comme on a baptisé Bell, Telus, Rogers, Vidéotron et quelques autres, sont des entreprises privées qui doivent faire du profit, entre autres pour continuer de développer leurs technologies, mais elles sont réglementées car elles jouissent depuis des décennies de privilèges territoriaux. Elle doivent, entre autres obligations, accepter de louer de l’espace sur leur câble ou leur bandes passantes à des fournisseurs de contenus concurrents.

Ici, au lieu d’offrir elles aussi des forfaits illimités comme leurs locataires, elles ont voulu forcer ces locataires d’offrir les mêmes plans de facturation à l’utilisation qu’elles. Or, l’avenir est à l’utilisation massive de l’internet: pour envoyer ses courriels ou chatter ou téléphoner (fini les lignes terrestres?); pour télécharger de la musique (fini les collections de disques?); pour regarder des films (fini la boutique de vidéo ou les collections de DVD?); pour regarder des téléséries, du sport, des nouvelles, etc. (fini la programmation télévisuelle basée sur une grille-horaire?).

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L’avenir est donc au forfait illimité, et il y aura encore beaucoup d’argent à faire là, pour les grosses comme pour les petites télécoms. Le gouvernement conservateur (asticoté par l’opposition libérale et néo-démocrate) a eu raison de renvoyer le CRTC plancher sur la question. Dans plusieurs autres pays, l’internet est plus rapide et coûte moins cher que chez nous.

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Quelques jours après la comparution houleuse de Konrad von Finckenstein en comité parlementaire, les critiques les plus virulents du CRTC (et du gouvernement conservateur) ont accueilli comme la cerise sur le sundae la nouvelle suivant laquelle le CRTC allait acquiescer à la demande d’un obscur comité permanent de la Chambre des communes et du Sénat, et diluer sa réglementation sur la véracité de l’information diffusée à la radio, la télévision et sur internet.

«Le CRTC va autoriser la diffusion de fausses nouvelles», a-t-on titré ici et là, suite à l’intervention de deux députés du NPD, Charlie Angus et Thomas Mulcair, qui méritent au moins un prix pour leur vigilance.

Le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation étudie les règlements attachés aux lois adoptées par le Parlement, notamment pour s’assurer qu’ils sont conformes à la Constitution et à la Charte des droits et libertés. Depuis une dizaine d’années (avant l’arrivée des Conservateurs au pouvoir), il invite le CRTC à amender sa prohibition sur la diffusion d’informations «fausses ou trompeuses», trop vague, qui ne passerait pas le test de la Charte des droits et libertés.

Et comment sait-il, ce comité, que ce règlement, qui n’a jamais été évoqué par le CRTC contre un journaliste ou un média, ne passerait pas le test de la Charte? Parce qu’en 1992, la Cour suprême du Canada a cassé un jugement ontarien contre le pamphlétaire Ernst Zündel, accusé d’avoir répandu de «fausses informations» minimisant les persécutions nazies contre les juifs. Le plus haut tribunal du pays a jugé que les activités de Zündel relevaient de l’exercice de sa liberté d’expression et étaient protégées par la Charte des lois et libertés.

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Ce jugement reste, à ce jour, un pilier de la liberté d’expression au Canada, malmenée dans plusieurs autres pays européens (pour ne rien dire du tiers monde où elle est souvent inexistante) où une foule d’opinions sur l’histoire, la politique, la religion ou la société constituent des délits punissables d’amende ou de prison. C’est notoirement le cas de l’Allemagne, où Zündel, extradé du Canada dont il n’a jamais été citoyen, purge une peine de prison pour ses opinions jugées «haineuses».

Le CRTC a donc proposé de préciser que ce seront désormais les informations fausses et trompeuses susceptibles de constituer «un danger pour la vie, la santé ou la sécurité du public» qui resteront passibles d’enquêtes et de sanctions. On parle ici, bien sûr, d’informations que le diffuseur sait fausses, déjà une allégation quasiment impossible à prouver.

C’est donc une limitation raisonnable que veut apporter le CRTC à son règlement, mais pas selon l’opposition au Parlement et chez les bien-pensants qui rêvent de mettre les journalistes à leur place, qui trouvent ici le moyen d’associer le gouvernement conservateur à une sinistre opération visant à protéger les futurs propos insensés diffusés sur Sun News (dirigé, comme on le sait, par un ancien attaché de presse de Stephen Harper).

Vivement l’entrée en ondes de Sun News et de ses chroniqueurs, apparemment plus prompts que plusieurs de nos élus à défendre la liberté d’expression: la leur comme celle de leurs adversaires!

Le Comité parlementaire d’examen de la réglementation a également demandé – et le CRTC a accepté – que des restrictions anachroniques sur le langage ordurier ou obscène dans les médias soient relaxées. Ce débat n’est pas sans rappeler celui, qui a bien faire rire le pays récemment, sur l’interdiction, par l’organisme d’auto-censure d’un consortium de radiodiffuseurs (et non le CRTC comme plusieurs l’ont cru initialement), d’une célèbre chanson du groupe Dire Straits comprenant le mot «faggot».

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Le gouvernement fédéral fera toujours l’objet de critiques, qu’il renverse ou qu’il accepte une décision du CRTC. Le gouvernement pourrait aussi modifier le mandat du CRTC, renforcer ou au contraire limiter ses pouvoirs…

Dans le cas de la facturation de l’internet comme dans celui de Wind Mobile (le CRTC refusait d’accorder une licence à cette entreprise «contrôlée» de l’étranger, le gouvernement a renversé sa décision, la Cour fédérale vient de donner raison au CRTC), le gouvernement respectait sa logique favorisant une plus grande concurrence censée profiter aux consommateurs.

La même logique s’applique aux idées, à l’information et à la culture, mais ça prendra un certain courage pour résister à la campagne de peur et de désinformation (légale!) contre la décision du CRTC d’adapter sa règlementation à la Charte des droits et libertés.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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