L’entrée en matière, c’est le moins qu’on puisse dire, a quelque chose de surréel, mais donne la pleine mesure du gouffre entre la réalité torontoise et l’univers mythique de Richard Wagner: en ce superbe vendredi après-midi de fin d’été, l’angle des rues Queen et University bourdonne d’activité, tandis que la foule, cellulaire ou hot dog en main, profite d’un bref retour du temps chaud, contournant les barricades et les bulldozers qui prêtent à cette intersection des airs de parcours à obstacle.
Mais pour peu qu’on pénètre l’enceinte du Four Seasons Centre for the Performing Arts, havre de sérénité derrière sa façade anonyme, nous voilà menés dans la pénombre, jusqu’à un balcon réservé aux représentants de la presse. Et aussitôt, sous nos yeux ahuris, se déploie l’arbre gigantesque qui sert de décor à Siegfried. Si la bouche du métro Osgoode menait directement à la grotte de Lascaux, l’effet ne serait pas plus saisissant.
Pour marquer son entrée dans ses nouvelles pénates après un combat politique de plus de 20 ans – et pour mettre en valeur l’immense potentiel scénique et acoustique du centre Four Seasons – la Canadian Opera Company (COC) ne pouvait trouver mieux que de s’attaquer de front à l’Everest du répertoire, l’immense cycle de l’anneau de Richard Wagner.
Quatre opéras (Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung), créés entre 1869 et 1876 selon la philosophie de «l’art total», qui embrassait la musique, le théâtre, la poésie et tous les arts de la scène, reflétant à la fois le génie et la mégalomanie du compositeur allemand.
Repris durant trois semaines consécutives (du 12 septembre au 1er octobre), le cycle prend plus de 15 heures à se dérouler, imposant d’immenses défis d’endurance aux chanteurs et, diront plusieurs, au public. Après des décennies de courageuses productions souvent minées par des salles mal adaptées, cette méga-production a pour but d’élever le COC – et la ville de Toronto – au rang des destinations incontournables du monde de l’opéra, au même titre que Milan, New York, Londres ou Bayreuth, lieu de pèlerinage wagnérien.