«L’Alliance française doit saisir la vague de frénésie qui s’empare des autres institutions culturelles»

À moins de deux mois de son départ, André de Bussy n’a que de bons mots pour la ville qu’il s’apprête à laisser derrière lui. La torpeur des mois d’hiver, les températures au-dessous de zéro auraient pu décourager plus d’un candidat affecté à l’étranger. Elles semblent ne pas avoir eu d’effet sur le directeur de l’Alliance française.

M. de Bussy parle de Toronto comme d’une ville d’avenir. Et, pour l’Alliance française, il rêve en grand d’un nouveau centre culturel «jeune»  et «décoiffant», dit-il, à l’image d’une ville caméléon, tour de Babel en constante mutation qui n’est jamais telle qu’on l’a laissée la veille.

«Je souhaite à mon successeur autant de plaisir que j’ai eu à Toronto pendant toutes ces années», fait valoir M. de Bussy en entrevue à L’Express.

Le successeur pressenti de M. de Bussy serait Jean-Claude Duthion. Ce dernier entrerait en fonction dès la rentrée de septembre. M. Duthion a visité une première fois l’Alliance française de Toronto en juin dernier. Sa candidature a depuis été retenue par le conseil d’administration. Agrégé de Lettres classiques, M. Duthion a enseigné en Martinique et à Istanbul, au lycée national bilingue turque. En France, il est chargé de mission et directeur général de la revue L’Agora francophone internationale à Paris.

La diversité culturelle, image emblématique du Canada

M. Duthion n’en n’est pas à sa première expérience en sol canadien. Il a déjà été attaché culturel au Consulat général de France à Québec de 1995 à 1999. «Après avoir vécu dans la province du Québec, ma famille et moi souhaitions découvrir d’autres parties du Canada, fait-il valoir en entrevue depuis Paris. Notre choix s’est porté sur Toronto. La métropole est reconnue dans le monde comme une capitale de la diversité culturelle. Pour nous autres Français, c’est devenu une image emblématique du Canada», commente-t-il à l’autre bout du fil.

À ce stade, Jean-Claude Duthion ne peut se prononcer sur les nouvelles fonctions qui lui seront imparties en septembre. Sa candidature doit être approuvée d’ici deux semaines par le Ministère français des Affaires étrangères.

La passation de pouvoirs entre l’ancien et le nouveau directeur s’effectuera en douceur puisque M. de Bussy quitte son poste à la fin du mois d’août. Ce faisant, il troque un décor fait de hautes tours modernes pour des palais impériaux millénaires en étant promu délégué général des Alliances françaises en Chine.

Un nouveau centre culturel francophone

En attendant, le directeur sortant de l’institution torontoise aux murs de briques rouges, vitrine culturelle à saveur francophone qui a pignon sur la rue Spadina, en profite pour dresser un bilan de son mandat et confier sa vision de l’Alliance du futur.

«J’estime que nous sommes bien établis dans le domaine linguistique, au niveau de l’offre des cours, même s’il reste des efforts à faire pour moderniser les méthodes d’enseignement, remarque-t-il. Cependant, nous pourrions véritablement nous positionner en tant qu’institution culturelle à part entière si nous avions la possibilité de créer un nouveau centre francophone d’expression culturelle», fait valoir le directeur.

Alors qu’il s’apprête à quitter ses fonctions, M. de Bussy a de grandes ambitions pour un établissement qu’il a dirigé pendant quatre ans. Selon ses dires, le nouveau centre, une fois construit, aurait pour vocation de proposer une offre culturelle diversifiée: projections de films, lectures de poèmes, conférences et concerts, le tout dans une ambiance résolument moderne.

Le directeur espère qu’un tel établissement pourrait, de ce fait, devenir un lieu branché par excellence, à l’image du Drake Hotel qui a rouvert ses portes en février 2004 sur la rue Queen Ouest.

Depuis le mois de janvier dernier, 60 étudiants de l’Université de Toronto travaillent à cet effet. Ils ont chacun dessiné les plans de l’Alliance du futur, ses classes d’enseignement, son auditorium et ses équipements davantage adaptés à la demande actuelle. Leurs travaux sont affichés au premier étage de l’Alliance française. M. de Bussy s’y promène et pointe du doigt les croquis qui ont retenu son attention. Il a l’air visiblement satisfait.

«Toronto est en pleine mutation. Profitons de cette vague pour nous inscrire nous aussi dans cette tendance, s’exclame-t-il avec enthousiasme. J’ai, pour ma part, semé les graines. J’espère qu’elles vont pousser. Je veux que l’on sorte de ces vieux murs en brique pour aller vers l’extérieur!»

L’expression employée M. de Bussy s’applique ici au sens propre comme au figuré. Il s’agit de rafraîchir l’image d’un établissement vieux d’une vingtaine d’années, mais aussi d’aller à la rencontre d’un nouveau public plus jeune et en quête d’évènements qui correspondent à ses attentes.

«Dans une moindre mesure, nous y sont sommes parvenus grâce à des évènements extérieurs tels la Fête de la musique», remarque à ce sujet le directeur de l’Alliance française. Rappelons que le 21 juin dernier, la Fête de la musique, dans sa version torontoise, avait réussi à rassembler de nombreux francophones et francophiles autour d’une programmation originale et variée.

«De la même façon, j’ai été agréablement surpris pendant la Nuit des publivores que nous avions organisé à l’automne 2005, note encore M. de Bussy. Nous avons fait venir à nous un nouveau public qui se composait en majorité de jeunes Français. Tout l’enjeu est de savoir où ils se trouvent. Il est évident que si nous organisons une conférence sur Sartre et Beauvoir, cela ne va pas les attirer.»

Moderniser l’offre pédagogique

S’il est satisfait des offres des cours proposés à ses 6 000 étudiants repartis sur trois campus, André de Bussy souhaite néanmoins raviver l’empreinte linguistique laissée par son établissement.

Dans cette optique, l’idéal serait de doter l’Alliance française de nouvelles technologies adaptées aux réalités d’aujourd’hui. Centre multimédia, enseignement à distance via l’Internet, offres de cours à l’endroit des nouveaux arrivants d’origine asiatique, groupe qui s’intéresse de plus en plus au français: toutes ces propositions apparaissent au directeur général comme autant de virages à prendre afin de rester à la fine pointe du progrès.

À la veille de son départ, André de Bussy discute librement de choses et d’autres, des espoirs qu’il nourrit pour l’établissement qu’il laissera bientôt entre de nouvelles mains. Entre deux phrases, il reconnaît que les premières années à la barre de L’Alliance française n’auront pas été des plus faciles.

Le conseil d’administration avait besoin d’être redéfini, de se voir fixer de nouvelles règles de gouvernance. André de Bussy aura consacré la moitié de son mandat à remettre l’institution sur les rails.

Aujourd’hui,  le directeur de l’Alliance française estime que la crise d’identité est largement dépassée. «Il y a beaucoup d’opportunités pour une institution comme la notre. Nous nous trouvons dans une ville qui est en demande constante de français», rappelle-t-il. Un contexte favorable que son successeur ne manquera pas de saisir au vol.

Nostalgie et anticipation

Le directeur de l’Alliance, est-il, pour sa part, un brin nostalgique à l’idée de quitter la Ville-Reine? «J’éprouve une certaine tristesse, comme à chaque départ dans la vie, de commenter le principal intéressé. Cependant, je me réjouis aussi de la nouvelle mission qui m’attend en Chine.»

Avant d’être nommé directeur de l’Alliance française à Toronto, André de Bussy a été directeur du Centre français de Londres ainsi que du Centre franco-allemand de Berlin. Il a également occupé des fonctions de chef de projet au Cambodge et au Laos. De Toronto, il affirme garder le souvenir d’un poste très agréable.

Une cérémonie en présence du consul général de France à Toronto et de l’ambassadeur de France au Canada a eu lieu lundi dernier dans les appartements de l’ancien solliciteur général Bob Kaplan pour souligner de façon officielle le départ de M. de Bussy.