La vraie coalition «broche à foin»

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Publié 28/04/2011 par François Bergeron

Le scrutin de lundi est un référendum sur les Conservateurs de Stephen Harper. Sauf qu’on ne vote pas simplement oui ou non. Au lendemain du 2 mai, il faudra interpréter la volonté des Canadiens, plus nuancée que les slogans simplistes des partis, à partir des résultats des 308 circonscriptions.

Évidemment, si les Conservateurs décrochaient une importante majorité de sièges avec plus de 40% des suffrages exprimés, ce serait clair. 

Si, au contraire, les forces combinées des Libéraux, Néo-Démocrates, Verts et Bloquistes, ayant obtenu ensemble plus de 60% du vote, dépassaient de beaucoup le nombre d’élus conservateurs, ces derniers devront céder le pouvoir à cette «coalition» tant décriée… à condition bien sûr que tout ce beau monde arrive à s’entendre sur le choix du premier ministre et sur quelques grandes priorités.

Un problème de légitimité se posera si, grâce à une bonne performance du NPD au détriment du Bloc au Québec et des Libéraux ailleurs au pays, les Conservateurs remportaient plus de sièges que la dernière fois, voire une mince majorité, avec à peine le tiers des suffrages. 

Il faudra également surveiller la participation. Si le vote par anticipation est un indicateur, elle serait supérieure à celle (anémique) de 2008. Mais s’agit-il d’une vague bleue ou orange? Un réflexe de défense de la stabilité politique et économique de la part des électeurs conservateurs, qui n’auront jamais si bien porté leur nom, ou, au contraire, l’expression d’un ras-le-bol contre ce gouvernement et son chef, son style abrasif et ses entorses à la démocratie, ses erreurs et ses priorités qui ne seraient pas toujours celles de la majorité des citoyens?

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Michael Ignatieff et Jack Layton promettent de taxer davantage l’entreprenariat créateur d’emplois pour financer des programmes sociaux douteux, une expansion de la bureaucratie improductive et un système de santé soviétique. Est-ce bien ce que leurs électeurs ont compris et souhaitent eux aussi?

Selon la «boussole électorale» de Radio-Canada (un sondage interactif amusant), je suis beaucoup plus proche du Parti conservateur que de n’importe quel autre parti. Ce n’est pas une surprise, ni pour moi ni pour les lecteurs réguliers de L’Express

Comme toutes les économies occidentales, le Canada est pris, depuis le début de ce 21e siècle, dans un cercle vicieux d’endettement et de récession, l’endettement provoquant la récession (quand une «bulle» de mauvaises dettes éclate) et la récession aggravant l’endettement (quand les gouvernements cherchent à «stimuler» l’économie ou à protéger certains secteurs). 

Le Canada a traversé la crise mondiale de 2008-2009 sans trop de dommages. Pas grâce à la compétence extraordinaire de son gouvernement conservateur, mais bien parce que le pays était déjà en meilleure santé financière et économique que les États-Unis, l’Europe et le Japon. Mais Stephen Harper semble être le seul de nos chefs politiques à comprendre l’importance de retrouver rapidement l’équilibre budgétaire, même si c’est bel et bien lui qui a transformé les (rares) surplus laissés par Paul Martin en déficits record, sous la menace d’être renversé par une coalition libérale-néo-démocrate-bloquiste au début de 2009. 

La coalition de l’opposition aurait adopté le même genre de «plan d’action économique» que les Conservateurs, produisant des déficits sans doute encore plus élevés. En vue du scrutin du 2 mai, Libéraux et Néo-Démocrates s’inventent de futurs revenus provenant de l’imposition plus élevée des compagnies ou générés par une bourse du carbone qui tient de l’économie-fiction.

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L’économie est normalement le principal enjeu d’une campagne électorale, et les sondages indiquent que les Canadiens ont une bonne opinion des Conservateurs dans ce dossier (nonobstant des dérapages comme la tenue du G20 de Toronto à 1 milliard $). Mais une foule d’autres considérations orientent notre vote, comme il se doit. Et c’est là que le bât blesse pour Harper.

La vraie coalition «broche à foin», contre-nature, ce n’est pas celle des trois partis d’opposition, qui ont pratiquement les mêmes idées sur tout.

C’est celle que tente de former le Parti conservateur depuis la fusion des Progressistes-Conservateurs et des Alliancistes (ex-Réformistes) en 2006: des rednecks opposés au bilinguisme officiel trinquant avec des Québécois nationalistes des «régions»; des monarchistes invétérés côtoyant des crypto-Républicains américains; des activistes chrétiens, qui auront leur Bureau de promotion des libertés religieuses dans le monde, frayant avec des libertariens tolérant de toutes les relations commerciales ou autres entre adultes consentants; des obsédés de la loi et l’ordre avoisinant des abolitionnistes du registre des armes d’épaule; des réformateurs du Sénat croisant des apôtres de l’immobilisme constitutionnel. Et des promoteurs de la transparence de l’État et de la liberté d’expression (par exemple contre ces tribunaux kafkaesques que sont devenues nos commissions des droits de la personne) qui doivent composer avec un bureau du premier ministre tentaculaire et toujours un peu parano.

Les divergences de vues existent aussi au sein des autres partis, mais rarement au point de retenir un sous-groupe de voter du bon bord. Les Conservateurs, eux, doivent jongler avec plusieurs courants difficilement réconciliables, prompts à déserter le champ de bataille si le chef paraît favoriser un autre courant.

Dans mon cas, je constate que l’appui de Stephen Harper au bilinguisme officiel ne va pas jusqu’à garantir que les 9 juges de la Cour suprême du Canada seront toujours bilingues. Et que même les députés et sénateurs conservateurs québécois sont forcés d’adopter cette position humiliante. (On ne s’imagine quand même pas qu’on nommera un jour un juge unilingue francophone?) Résultat: un vote de moins pour Harper, le mien.

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Cette science du dosage des antagonismes politiques n’a pas encore produit de gouvernement majoritaire. Si la tendance se maintient lundi, les Conservateurs devront apprendre à se brancher et à offrir une option plus cohérente.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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