La Sagouine: «Elle est vraiment moi… et je suis vraiment elle!»

En 1971, Antonine Maillet écrit 16 monologues qui parcourent la vie et les réflexions d’un personnage de Bouctouche, au nord de Moncton. La première interprète de ces textes sera Viola Léger, une bonne amie d’Antonine Maillet. Il était prévu que ce soit juste une surprise pour la présentation du livre La Sagouine. 40 ans plus tard, Viola Léger continue de jouer cette sagouine et le fera tant qu’on lui demandera. Grande admiratrice du texte d’Antonine Maillet, la comédienne revient avec L’Express sur un rôle qui lui colle à la peau et qu’elle a interprété aux quatre coins du monde.

La sagouine est une femme, pauvre, qui n’a pas d’éducation, mais un bon sens légendaire. Elle réfléchit sur sa vie et sa mort, le printemps et l’Église et le partage avec sa gouaille, bien à elle.

«Je n’aurais jamais dû devenir comédienne. J’étais enseignante, je faisais du théâtre avec les enfants, des pièces d’Antonine, on était très amies. Antonine savait qu’elle ferait quelque chose de grand avec ce personnage un jour», se rappelle Viola.

C’est grâce à Radio Canada que tout a commencé. Antonine leur envoie ses textes et après quelques lectures, on lui propose d’enregistrer elle-même ses compositions et d’envoyer les bobines. Et ça marche. Un livre se met en marche avec les différents textes sur La Sagouine et c’est lors du lancement que Viola joue pour la première fois le personnage.

«Ça a bien marché, en 1971 on devait faire quatre spectacles. Je joue encore», s’amuse la dynamique octogénaire.

Elle trouve quand même cela amusant que le personnage de La Sagouine représentait quelqu’un de rejeté, de solitaire et qu’aujourd’hui «c’est devenu une idole!»

Mais alors pourquoi est-elle devenue une idole pour le public? Sur ce point, Viola Léger a sa petite idée. «Le bon sens est moderne à toutes les époques. Elle n’a rien, mais, par exemple, elle aime le printemps. Ce n’est pas une femme déprimée. Tout le monde peut se reconnaître dans La Sagouine.»

«Elle est la voix des sans-voix. Avant c’était les pauvres, aujourd’hui ça pourrait être les immigrés.»

Viola Léger se retrouve tellement dans ce rôle qu’elle avoue qu’il n’a pas été difficile de rentrer dans le personnage au début: «Elle est vraiment moi, je suis vraiment elle. Il y a des phrases dans le texte, je sais ce qu’elle va dire après. Elle dit ça, donc elle va dire ça ensuite.» Après quarante ans à jouer La Sagouine, Viola Léger avoue qu’il y a eu un prix à payer à être identifiée à ce personnage. Elle est associée à vie à cette Acadienne atypique.

«Je pense que ce sont les réalisateurs et les metteurs en scène qui ont été les plus effrayés, mais pour moi le défi était de mon côté», analyse Viola Léger.

En restant elle-même, Viola Léger a permis à cette série de textes de passer, de perdurer à travers les âges sans prendre une ride. Viola Léger raconte d’ailleurs à ce sujet qu’au début, elle jouait une sagouine bossue, qui avait du mal à marcher, mais qu’en prenant de l’âge, elle s’est aperçue que finalement, on ne marchait pas comme ça malgré les années. «La sagouine a plus d’énergie maintenant qu’au début», lance-t-elle en éclatant de rire.

Si elle n’y pense pas encore, Viola Léger devra quitter un jour ce personnage et trouver une comédienne pour succéder à l’icône ne sera pas une mince affaire. «Je n’ai pas de conseils à lui donner, il faut qu’elle trouve elle-même son personnage. Si je devais lui dire une chose, ce serait de rester le plus qu’elle peut.»

Ce qu’a fait Viola tout au long de sa vie.