La proportionnelle ne fera rien pour revaloriser le rôle des parlementaires

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Publié 22/05/2007 par François Bergeron

Si vous aimez les gouvernements minoritaires et les élections tous les deux ans, les magouilles politiques et la multiplication des petits partis à revendication spécialisée, votez le 10 octobre prochain pour le système de représentation proportionnelle proposé par l’Assemblée des citoyens de l’Ontario.

Si, au contraire, vous préférez une certaine stabilité et croyez en l’utilité, pour un parti généraliste, de pouvoir démontrer la cohérence de son programme en gouvernant la province pendant quatre ou cinq ans, alors votez contre la réforme du système électoral lors de ce référendum qui se tiendra en même temps que les élections ontariennes.

En septembre 2006, le gouvernement McGuinty a en effet lancé ce processus de réflexion sur notre système électoral uninominal à un tour, constamment décrié par les petits partis pro-ci ou anti-ça qui n’arrivent jamais à faire élire un député à Queen’s Park (et par le NPD qui n’a pris le pouvoir qu’une seule fois).

Mais au lieu de soumettre lui-même une ou plusieurs idées de réforme à un comité de l’Assemblée législative – comme pour démontrer le peu de représentativité et l’insignifiance de nos élus actuels – le gouvernement libéral a confié le dossier à une Assemblée de 103 citoyens, un par circonscription, 52 femmes et 51 hommes «choisis au hasard» nous assure-t-on le plus sérieusement du monde, qui ont sollicité l’avis d’experts et dirigé une quarantaine de réunions publiques aux quatre coins de la province.

Tous ces efforts n’allaient évidemment pas être perdus à recommander le statu quo. Le rapport du groupe, intitulé Un bulletin, deux votes (dont on peut prendre connaissance à www.citizensassembly.gov.on.ca), propose un nouveau système électoral proportionnel mixte (toujours à un tour) qui nous permettrait de voter à la fois pour un candidat local et pour un parti politique provincial.

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Ce n’est pas très compliqué: 90 députés locaux seront élus à la manière traditionnelle, puis on pigera dans des listes de candidats supplémentaires soumises par les partis politiques pour ajouter 39 députés jusqu’à ce que la proportion des sièges de chaque parti à l’Assemblée législative corresponde à la proportion du vote qu’ils ont obtenue.

C’est plus démocratique mais est-ce vraiment meilleur?

Le système actuel, d’inspiration britannique, date d’une époque où les électeurs choisissaient d’envoyer une personnalité locale les représenter au sein d’un lointain parlement où s’entrechoquaient des intérêts souvent très divergents.

Aujourd’hui, les débats parlementaires et les faits et gestes du gouvernement sont répercutés instantanément par de puissants moyens de communication. On a encore des comtés urbains et ruraux, collets blancs et collets bleus, anglos et francos, mais, paradoxalement, la complexité de la vie moderne et les grands enjeux sont devenus les mêmes pour tous. Nous sommes tous préoccupés par l’éducation de nos enfants et la performance de notre système de santé, par la valeur de notre travail et l’occupation de nos temps libres, et bien sûr par la sécurité: sur nos routes et dans nos quartiers, à nos frontières et en voyage, pour notre environnement et nos ressources, etc.

En raison de cet effacement des distances et des solitudes physiques et culturelles, le parti politique – c’est-à-dire le chef et sa petite équipe de conseillers – a déjà pris un grand ascendant sur le représentant local, souvent peu connu de ses électeurs à moins d’être ministre. La proportionnelle donnerait encore plus de pouvoir aux partis. Il deviendrait plus difficile que jamais de revaloriser le rôle des parlementaires.

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On assiste d’ailleurs à Ottawa, suite à l’interruption des travaux du Comité parlementaire sur les langues officielles par son président conservateur, le député franco-ontarien Guy Lauzon, à une dévaluation spectaculaire du rôle de nos députés par le gouvernement de Stephen Harper. M. Lauzon a stoppé les travaux de son comité, qui voulait rediscuter de l’élimination du Programme de contestation judiciaire et examiner le rapport du Commissaire aux langues officielles, parce qu’il trouvait ces travaux «trop partisans», comme s’il pouvait en être autrement!

Or, le Parti conservateur a longtemps souhaité lui aussi revaloriser le rôle des parlementaires, allant parfois jusqu’à admirer la relative indépendance des membres du Congrès américain par rapport à l’exécutif (le Président) et à leur parti (Républicain ou Démocrate). Que ce cirque se déroule sous un gouvernement minoritaire n’est pas un hasard: la discipline de parti est resserrée en situation minoritaire.

Élu au début de 2006, le gouvernement Harper fait tout pour s’affranchir de ce carcan. Celui de Paul Martin était minoritaire lui aussi, ce qui a précipité son départ parce que les Libéraux ont interprété un tel résultat comme une défaite après trois mandats majoritaires. Aujourd’hui, on considérerait sans doute comme une grande victoire l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire sous Stéphane Dion…

Mais donc notre système électoral actuel, quand l’électorat encourage trois ou quatre grandes orientations politiques, produit des parlements assez représentatifs. On l’a vu au Québec le 26 mars dernier, où le Parti libéral, l’Action démocratique et le Parti québécois ont obtenu respectivement 33%, 31% et 28% des suffrages, ce qui s’est traduit par 48, 41 et 36 députés. Faut-il pleurer parce que les crypto-communistes de Québec solidaire et les illuminés du Parti Vert, qui ont obtenu chacun 4% des suffrages, ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale?

L’Assemblée des citoyens de l’Ontario (ou le gouvernement McGuinty, on ne sait plus) recommande que la proportionnelle mixte reçoive l’appui de 60% des électeurs à l’échelle de la province et la majorité simple dans 60% des circonscriptions pour être adoptée.

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Fixer un certain seuil de respectabilité à atteindre n’est donc pas antidémocratique. Or c’est exactement ce que fait notre système électoral actuel en obligeant les partis politiques à faire élire au moins un député – n’importe où – pour entrer à l’Assemblée législative. C’est aussi un tel seuil de respectabilité qui permet à un parti qui n’a obtenu qu’une pluralité de suffrages, mais qui a réussi à faire élire une majorité de députés, de former un gouvernement durable.

Bien sûr que le système actuel ne permet pas une représentation exacte à Queen’s Park de toutes les tendances politiques: c’est justement une de ses fonctions que de filtrer les plus immatures et de ne laisser passer que les plus songées. Au gouvernement, par contre, on souhaite une cohérence que la proportionnelle viendrait miner en forçant les coalitions et les compromis. On se plaint déjà que nos gouvernements ne se fient qu’aux sondages et à leurs calculs politiques – ce sera pire sous le régime de la proportionnelle.

Cela dit, le changement proposé ici n’est pas catastrophique. D’autres alternatives à la proportionnelle pourront être considérées un jour: augmenter le nombre de circonscriptions; exiger la parité des sexes en élisant deux députés par comtés: un homme et une femme; ajouter un 2e tour là où le gagnant du 1er tour n’a pas obtenu la majorité simple; garantir la qualité des candidats en exigeant un minimum de formation académique, un plus grand nombre d’années de résidence au pays, la maîtrise des deux langues officielles…

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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