La nature n’aime pas le vide

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Publié 29/05/2013 par François Bergeron

Qui a voté pour Rob Ford?!, lance mon épouse sur le ton le plus faux, en présence d’amis ou de voisins lorsqu’on discute des frasques de notre maire, sachant pertinemment que j’ai fait une croix, en 2010, vis-à-vis du nom du candidat conservateur qui promettait «le respect pour les contribuables».

383 501 citoyens ont posé le même geste, soit 47,1% de l’électorat, contre seulement 35,6% pour l’ex-ministre libéral provincial George Smitherman et 11,7% pour l’ex-maire adjoint Joe Pantalone, un néo-démocrate inféodé aux syndicats.

Les banlieues ont voté massivement pour Ford, le centre-ville pour Smitherman, ce qui fait dire à plusieurs que l’amalgamation de 1998 était peut-être une erreur, même si les trois-quarts des services municipaux étaient déjà fournis par le gouvernement métropolitain.

53% des Torontois sont allés aux unes en 2010, contre 39% en 2006 (David Miller vs Jane Pitfield) et 38% en 2003 (David Miller vs John Tory).

Échaudés, à l’été 2009, par une grève des éboueurs et d’autres employés municipaux qui a découragé David Miller de se représenter, les Torontois ont voté pour la ligne dure envers les syndicats, la privatisation de la collecte des ordures et un meilleur contrôle des dépenses publiques. Smitherman promettait, lui aussi, vers la fin de la campagne, d’interdire les grèves dans les services essentiels, mais Ford était plus crédible là-dessus.

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Ça fait drôle aujourd’hui d’utiliser le mot «crédible» en rapport avec Rob Ford. On s’attend tous à ce que la vidéo qui n’existe pas, montrant le maire en train de fumer du crack, fasse surface un jour ou l’autre. On appréhende d’autres propos grossiers ou gestes irresponsables, voire illégaux, de la part du maire ou de son frère, d’ici la fin du mandat en octobre 2014.

Chacun de leurs scandales, pris isolément, est insignifiant comparé à ce qui se passe à Montréal, Laval et d’autres villes du Québec, selon les témoins qui défilent devant la Commission Charbonneau qui enquête sur la corruption dans l’octroi de contrats d’infrastructures publiques. Mais l’accumulation de turpitudes et de mensonges est débilitante et ne peut que nuire à la bonne gestion et à la réputation de Toronto.

Rob Ford n’aurait absolument pas l’intention de démissionner, même s’il a perdu la majorité au Conseil municipal et, possiblement, au sein de son propre Comité exécutif.

Heureusement, le maire ne représente qu’un vote parmi les autres. Récemment, le Comité exécutif a passé outre à ses objections et permis une séance du Conseil sur les options de financement de l’expansion du réseau de transport en commun. Le Conseil a voté contre le projet de casino au centre-ville, souhaité par le maire, et pour la station de vélos dans le stationnement de l’hôtel de ville, à laquelle il s’oppose.

Bref, comme l’a rappelé le maire suppléant Doug Holyday, l’administration municipale continue de fonctionner. Ce n’est pas un an ou deux de distractions comme celles que nous offre le clan Ford qui vont détruire une métropole comme Toronto. Tout au plus, certaines décisions se prendront sans nous, par exemple sur le transport en commun dans la grande région de Toronto à Hamilton.

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Le maire fait le vide autour de lui, mais la nature n’aime pas le vide. Poussés ainsi à l’avant-scène et investis de plus grosses responsabilités en raison de l’incompétence ou de l’impuissance du maire, les élus municipaux pourraient (devraient) faire preuve de plus de discernement, de circonspection et de transparence, notamment face aux dépenses publiques.

Rob Ford aurait pu rester un personnage un peu rustre, sous-qualifié pour le poste de maire de Toronto, élu parce qu’il offrait le bon programme au bon moment contre des adversaires qui avaient d’autres gros défauts, mais dont le mandat n’aurait pas viré au cauchemar s’il avait été mieux conseillé, s’il avait écouté ses alliés au Conseil municipal, si, si, si…

La «droite» aura des comptes à rendre aux prochaines élections. On se croisait les doigts en 2010, mais, pour prendre une métaphore de football, on a échappé le ballon.

Karen Stintz et John Tory sont pressentis à «droite», Olivia Chow et Adam Vaughan à «gauche»; le débat sera plus relevé que la dernière fois. Si Rob Ford décidait de se représenter (inimaginable pour nous, mais apparemment pas pour lui), il ne réussirait qu’à diviser la «droite» et faire passer la «gauche».

Pour avoir mon vote, tout candidat devra, au minimum, accepter de compléter la privatisation de la collecte des ordures, raisonner les syndicats (des pompiers et des policiers, entre autres) et continuer de limiter les dépenses et les taxes. Pour le reste, les métros et les vélos, les incinérateurs et les dépotoirs, les condos et les parcs, les bibliothèques et l’immigration, les logements sociaux et les clochards, les services d’urgence et les graffitis, toute contribution sensée est la bienvenue.

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Le bon, la brute…
Maires, cyclistes et gangsters

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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