La musique captée au vol

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Publié 22/01/2008 par Dominique Denis

De nos jours, l’improvisation – a priori la forme la plus naturelle de création musicale – se trouve le plus souvent cantonnée au domaine du jazz. Les musiciens classiques, en contraste, ont les yeux rivés sur leur partition, comme si tout écart par rapport aux notes et aux indications du compositeur constituait une trahison. On semble avoir oublié que les plus illustres d’entre eux, de Bach à Liszt en passant par Mozart et Beethoven, étaient de redoutables improvisateurs.

C’est dire si la pianiste vénézuelienne Gabriela Montero arrive à point nommé avec Baroque (EMI Classics), en revitalisant l’art de l’improvisateur, le temps d’une quinzaine de performances dont elle nous assure le caractère totalement spontané et «mystérieux».

Comme son titre l’indique, Baroque s’est donné des paramètres précis, mais il ne faut pas s’attendre à une stricte fidélité sur le plan stylistique. Si les thèmes sont, pour l’essentiel, familiers (Bach, Handel, Albioni, Vivaldi et l’inévitable Canon de Pachelbel), l’intérêt de cet enregistrement réside dans les libertés que s’accorde Montero, qui laisse paraître l’influence d’autres idiomes (tango, blues) ou aborde des morceaux du XVIIIe siècle avec l’austérité veloutée d’un Érik Satie.

Si ces mélodies presque trop familières servent de porte d’entrée dans l’univers de Montero, c’est ce que son esprit et ses doigts en font presque à leur insu qui capture – et maintient – notre intérêt.

Quand on sait qu’elle a déjà passé le thème de Star Wars dans son colimateur, on se doute bien qu’on n’a pas fini d’entendre parler de Gabriela Montero. Reste à voir si sa démarche inspirera des concertistes bien établis à quitter les sentiers balisés de la partition.

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Un conte de fées

Voilà un disque qui ne prétend pas être autre chose que ce qu’il est : une caresse dans le sens du poil, un petit velours pour ceux qui voient en la musique classique une manière de baume anti-stress. Un baume doublement efficace lorsqu’on en connaît déjà les ingrédients. Et il n’est rien, ou presque, qui ne soit pas familier sur Un conte de fées (Analekta), le nouvel album d’Angèle Dubeau et la Pietà.

On sait la Pietà capable de fort belles choses dans le créneau baroque. Après tout, la formation québécoise prend son nom – et l’idée de sa configuration 100 % féminine – de l’orchestre à cordes formé par Vivaldi dans l’école de filles vénitienne dont il était le prof de musique.

Il serait futile d’en vouloir à Dubeau et Cie de tirer les grosses ficelles de l’émotion à coups de musiques de film (The Mission d’Ennio Morricone ou le fameux Love Theme du Parrain) et de ballades éprouvées (em>What A Wonderful World). Ces moments plus prévisibles sont intercalés d’incursions chez Pärt, Rodrigo, de Falla, Chopin et Vivaldi, entre autres valeurs sûres.

Tandis que son titre et sa pochette nous prédisposaient à une avalanche de poussière d’étoiles sucrées, Un conte de fées joue la carte de la sobriété, prouvant qu’entre bonnes mains, un programme a priori trop joli peut être profondément beau.

Au chant de la clarinette

On oublie parfois qu’il n’y a pas que les muses pour inspirer les musiciens. Parfois, les instrumentistes – et leurs instruments – y sont pour beaucoup. Ainsi, il aura fallu deux virtuoses de la clarinette, Anton Stadler et Richard Muhlfeld, pour inspirer Mozart et Brahms, respectivement, à pondre quelques-uns de leurs incontestables chefs d’œuvres.

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Mais le clarinettiste canadien Jerome Summers pousse plus loin la démarche, allant jusqu’à commander auprès de cinq compositeurs «des œuvres possédant des qualités lyriques, rhapsodiques et dramatiques pour clarinette et orchestre à cordes». Les résultats, rassemblés sur The Nightingale’s Rhapsody (Cambria Master Recordings) répondent aux attentes de Summers, proposant des canevas musicaux dans lesquels la clarinette peut donner libre cours à son lyrisme inné.

Si la Rhapsody for Clarinet, Percussions and Strings de Ronald Royer affiche ouvertement sa dette stylistique envers Gershwin, les Pissarro Landscapes de Oliver Whitehead empruntent à la palette châtoyante des Impressionnistes, et le Concerto for Clarinet, Piano, Percussion and Strings de Michael Conway Baker donne lieu à quelques envolées mélodiques que n’aurait assurément pas renié Brahms lui-même.

Certes, ces œuvres révèlent leurs charmes avec une telle aisance qu’on peut craindre d’avoir trop vite fait le tour du jardin, mais après des décennies de musiques dont le mérite se mesurait à leur pouvoir d’aliénation, on aurait tort de bouder les simples plaisirs que nous propose The Nightingale’s Rhapsody.

L’OM n’a pas peur de se mouiller

Si Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre métropolitain du grand Montréal se sont imposés auprès d’un public de plus en plus vaste comme une alternative tout à fait valable à l’OSM, c’est en grande partie grâce au charisme de son chef, à cette énergie contagieuse dont il injecte une foule de projets abordés avec égale ferveur et conviction.

Et leur discographie révèle un talent sûr dans l’art de tisser des liens avec le public en jouant la carte de l’audace accessible. Hormis les collaborations avec Diane Dufresne (chez Weill et Brecht) et, plus récemment, avec Pierre Lapointe, Nézet-Séguin et sa bande ont jeté leur dévolu sur des œuvres à la fois ambitieuses et familières, et qui figurent au sommet des best of de leurs compositeurs respectifs.

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Pour Mahler, une Quatrième étirée avec volupté; pour Saint-Saëns, la Troisième, gravée à l’Oratoire Saint-Joseph, rien de moins. Et Chez Bruckner, la Septième et son adagio sans fin.

Et voilà que l’Orchestre Métropolitain nous propose La Mer (Atma). Encore une œuvre fétiche, mais cette fois, la partition de Debussy offre un autre défi. Après les grands déploiements précités, on se retrouve ici en terrain plus mouvant, le chef devant non seulement sculpter la masse sonore, mais nous rendre visibles les métamorphoses de ces tableaux, nous en faire sentir le danger et savourer le calme.

Et si cette incursion maritime est des plus convaincantes, ce sont les magistraux Sea Sketches de Benjamin Britten (et surtout son électrifiant Storm) qui donnent la pleine mesure des pouvoir d’évocation de Nézet-Séguin, nous transportant au coeur de la tempête.

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