La musique classique, dit-on, se meurt: son auditoire vieillit et ne se renouvelle pas, le coût de maintenir ses infrastructures massives – comme celle d’un orchestre symphonique – sont au-delà des capacités du mécénat privé ou public, et l’expérience même du concert classique, quasi inchangée depuis le XIXe siècle, est étrangère à la sensibilité d’un public habitué aux événements musicaux ou théâtraux ancrés dans les technologies actuelles. Enfin, notre existence accélérée et fragmentée à l’extrême ne nous prédispose guère à apprivoiser des œuvres qui peuvent sembler hermétiques et, parfois, d’une longueur inconfortable.
Et pourtant, combien de fois est-on séduit par une musique a priori étrangère – et étrange – lorsqu’on la découvre, par exemple, par le biais du cinéma, là où elle bénéficie d’une association narrative et d’un encadrement émotif, bref, d’un contexte. C’est précisément la conclusion à laquelle est arrivé le pianiste Andrew Burashko, et qui a donné lieu à la création de Art of Time, un ensemble à géométrie variable qui s’est imposé, depuis sept ans, comme un des plus courageux de la scène torontoise.
«Avec Art of Time, on essaie de trouver de nouvelles façons de présenter la musique classique, des façons qui ont plus de signification pour le public d’aujourd’hui», explique Burashko, quelques jours avant la première, au Centre Harbourfront, d’un programme marquant le centenaire de la naissance du compositeur russe Dimitri Shostakovich. «Le classique exige plus d’efforts d’écoute que la musique pop, et si les gens doivent l’appréhender dans un cadre qui ne leur est pas familier – une grande salle de concert, par exemple, où l’artiste est loin du public – ils risquent d’y être moins réceptifs.»
Une des stratégies déployées par Art of Time est l’introduction systématique d’éléments extra-classiques, voire extra-musicaux, à leur mise en scène, question d’offrir au public de nouvelles portes d’entrée.
Dans le cas de Shostakovich: A Centennial Celebration, Barashko a demandé au comédien Ross Petty de planter le décor en lisant quelques extraits du journal intime et de la correspondance du compositeur, lequel a passé l’essentiel de sa vie à défendre son espace de liberté d’expression à l’intérieur des contraintes du régime soviétique, se voyant même taxé de formaliste et de décadent par Staline lui-même, ce qui aurait dû lui valoir un aller simple vers le goulag.