La mise en scène de la musique

Art of Time célèbre Shostakovich au Centre Harbourfront

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 21/03/2006 par Dominique Denis

La musique classique, dit-on, se meurt: son auditoire vieillit et ne se renouvelle pas, le coût de maintenir ses infrastructures massives – comme celle d’un orchestre symphonique – sont au-delà des capacités du mécénat privé ou public, et l’expérience même du concert classique, quasi inchangée depuis le XIXe siècle, est étrangère à la sensibilité d’un public habitué aux événements musicaux ou théâtraux ancrés dans les technologies actuelles. Enfin, notre existence accélérée et fragmentée à l’extrême ne nous prédispose guère à apprivoiser des œuvres qui peuvent sembler hermétiques et, parfois, d’une longueur inconfortable.

Et pourtant, combien de fois est-on séduit par une musique a priori étrangère – et étrange – lorsqu’on la découvre, par exemple, par le biais du cinéma, là où elle bénéficie d’une association narrative et d’un encadrement émotif, bref, d’un contexte. C’est précisément la conclusion à laquelle est arrivé le pianiste Andrew Burashko, et qui a donné lieu à la création de Art of Time, un ensemble à géométrie variable qui s’est imposé, depuis sept ans, comme un des plus courageux de la scène torontoise.

«Avec Art of Time, on essaie de trouver de nouvelles façons de présenter la musique classique, des façons qui ont plus de signification pour le public d’aujourd’hui», explique Burashko, quelques jours avant la première, au Centre Harbourfront, d’un programme marquant le centenaire de la naissance du compositeur russe Dimitri Shostakovich. «Le classique exige plus d’efforts d’écoute que la musique pop, et si les gens doivent l’appréhender dans un cadre qui ne leur est pas familier – une grande salle de concert, par exemple, où l’artiste est loin du public – ils risquent d’y être moins réceptifs.»

Une des stratégies déployées par Art of Time est l’introduction systématique d’éléments extra-classiques, voire extra-musicaux, à leur mise en scène, question d’offrir au public de nouvelles portes d’entrée.

Dans le cas de Shostakovich: A Centennial Celebration, Barashko a demandé au comédien Ross Petty de planter le décor en lisant quelques extraits du journal intime et de la correspondance du compositeur, lequel a passé l’essentiel de sa vie à défendre son espace de liberté d’expression à l’intérieur des contraintes du régime soviétique, se voyant même taxé de formaliste et de décadent par Staline lui-même, ce qui aurait dû lui valoir un aller simple vers le goulag.

Publicité

Suivant l’intensité du huitième quatuor à cordes (composé par Shostakovich à sa propre mémoire!) et la plus légère Jazz Suite no 1, qui sera interprétée par la crème des jazzmen canadiens, la deuxième moitié du programme donnera lieu à une collaboration qui promet d’être marquante: le Trio avec piano en mi de 1944, réponse viscérale aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale, pour lequel la danseuse Andrea Nann a créé une chorégraphie en solo.

«Andrea est une artiste que j’admire profondément, explique Burashko. Et ce qu’elle a fait avec le Trio m’a bouleversé: son langage physique est en réelle harmonie avec l’idiome de Shostakovich.»

Cette juxtaposition d’œuvres intenses et d’une pièce plus enjouée était délibérée, illustrant les diverses facettes d’un compositeur dont on a trop souvent une perception monolithique. «Ses œuvres les plus marquantes ont été écrites dans des circonstances extraordinaires», reconnaît Burashko. «Dans ce sens, elles reflètent son époque et son environnement. Mais il y a un grand nombre de ses compositions plus joyeuses qui ne sont jamais jouées. Tous ses collègues et associés sont d’accord: Shostakovich aimait profondément la vie. Il n’a jamais perdu espoir, même si les circonstances de sa vie ne lui ont pas offert beaucoup de plaisirs.»

Si Burashko est particulièrement sensible au langage musical – et au courage – de Shostakovich, c’est qu’il a lui-même souvenir de l’expérience soviétique, ayant émigré au Canada en 1973, alors qu’il avait huit ans. «Mon père et mon grand-père ont tous deux fait de la prison. Mais là-bas, ce n’était pas rare de connaître quelqu’un qui avait été emprisonné à un moment donné.»

Pendant les cinq premières années d’existence de l’ensemble, Burashko dirigeait Art of Time avec les moyens du bord, qui étaient presque non existants. D’ailleurs, le terme «ensemble» est sans doute erroné, puisque les musiciens, issus de divers horizons stylistiques, sont engagés en fonction des exigences de tel ou tel programme.

Publicité

«Jusqu’à l’an dernier, c’était quelque chose que je faisais comme une espèce de hobby, sans infrastructure ni réelle planification. On avait à peine assez d’argent pour payer les musiciens.» Depuis, bourses aidant, Burashko s’occupe de Art of Time à temps plein, ce qui lui permettra, en mai prochain, de réaliser un rêve, en allant présenter deux programmes aux mélomanes moscovites.

Mais son engagement premier est vis-à-vis du public – et des artistes – torontois, chez qui il puise en grande partie de son inspiration. «Tous les artistes qui gravitent autour de Art of Time ont une chose en commun: leur passion sans bornes. J’ai la certitude que lorsqu’un spectateur prend sa place et assiste à une performance émouvante, l’impact en sera durable. Bien sûr, ce serait formidable qu’il revienne à un de nos concerts, mais s’il est motivé à acheter un billet pour un autre concert classique ou à acheter un CD de musique classique, alors on aura accompli quelque chose.»

Shostakovich: A Centennial Celebration. Les vendredi 24 et samedi 25 mars à 20h. Théâtre du Centre Harbourfront, 231 Queens Quay ouest. Billets: 35 $ (25 $ pour aînés/étudiants) 416-973-4000.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur