La guerre pour la guerre

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Publié 25/04/2006 par François Bergeron

Les antagonismes tribaux, ethniques ou raciaux, qui remontent à la nuit des temps, persistent encore de nos jours, comme si les progrès scientifiques et intellectuels de l’humanité n’étaient qu’un vernis sur un naturel primitif beaucoup plus résistant.

Malgré cela, on caractérise parfois la Première Guerre Mondiale comme ayant été le dernier des grands conflits traditionnels pour la domination d’un territoire, de ses ressources et de ses routes de commerce. La Deuxième Guerre Mondiale aurait été le premier affrontement moderne aux enjeux moins territoriaux qu’idéologiques (démocratie contre dictature). Elle s’est prolongée en Corée, au Viêt-Nam et dans la Guerre Froide Est-Ouest qui a pris fin par la disparition de la menace soviétique (mais pas par la disparition de tous les totalitarismes).

Le conflit israélo-arabe, les attaques du 11 septembre 2001 et les invasions de l’Afghanistan, de l’Irak et peut-être bientôt de l’Iran, représentent une nouvelle tangente. Ces derniers développements résultent d’erreurs criminelles qui n’étaient pas inévitables, qui peuvent encore être corrigées, mais qui coûtent déjà très cher et hypothèquent lourdement notre avenir.

Le terrorisme est bien réel mais, contrairement à la Seconde Guerre Mondiale et à la Guerre Froide, l’ennemi est souvent invisible, probablement surestimé, constamment redéfini, quand il n’est pas carrément inventé pour perpétuer la guerre elle-même, ses chefs, son industrie, ses retombées stratégiques.

Contrairement aux objectifs officiels, l’action américaine actuelle stimule le terrorisme au lieu de l’éradiquer. C’est peut-être parce que c’est là son objectif véritable: justifier les gros budgets militaires par une menace comparable à celle que posait l’URSS.

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La «Guerre au terrorisme», s’il faut accepter cette désignation, nous ramène à des enjeux de type Première Guerre Mondiale (sinon aux Croisades!): le contrôle du pétrole et du «continent» arabo-musulman. Ce n’est pas un progrès.

* * *

Prenant la relève des Anglais, les Américains ont encouragé le Chah en Iran, puis Saddam Hussein en Irak, à maintenir l’ordre dans la région… Les monarchies marocaine et jordanienne, de même que les gouvernements pseudo-civils (en réalité militaires) algérien, tunisien et égyptien paraissent parfois jouer un rôle similaire, qui amplifie la grogne intégriste, surtout depuis que les interventions américaines paraissent de plus en plus clairement télécommandées d’Israël.

En effet, l’État hébreu n’est plus considéré comme une dépendance de Washington, mais bien comme son véritable maître grâce à son puissant lobby aux États-Unis (et au Canada et en Europe).

Cela dit, la résistance des Arabes à la création d’Israël, en 1948, a été déraisonnable par rapport à ce qu’on leur demandait – faire une petite place aux Juifs sur une terre partiellement juive depuis toujours – et en regard du processus de décolonisation qui était entamé dans tout le Moyen-Orient.

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La Jordanie et les autres voisins auraient dû accueillir leurs frères palestiniens déplacés par la création d’Israël et passer à autre chose – leur propre modernisation économique et politique par exemple. À cette solution, imparfaite mais simple, on a préféré la promotion d’un mini-État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, une aberration géographique.

La monarchie saoudienne est un cas à part en ce qu’elle se réclame elle-même d’un courant musulman fondamentaliste – mais elle est vilipendée par d’autres fondamentalistes comme Oussama ben Laden. La Turquie et certains émirats du Golfe, à l’autre extrême, sont des sociétés un peu plus modernes, bien que tiraillées elles aussi par les courants islamistes rétrogrades. Restent la Lybie d’un Khadafi qui aspire désormais à une retraite paisible, le Liban déchiré épisodiquement par des milices étrangères, la Syrie méfiante de ses amis autant que de ses ennemis, l’Afghanistan en tutelle et le Pakistan en ébullition.

Comme si tout ça n’était pas assez compliqué, le nouveau président iranien voudrait la bombe atomique. S’il faut croire l’information (désinformation?) qui circule à son égard, Mahmoud Ahmadinejad, un civil aussi despotique que les ayatollahs, souscrirait à un courant messianique voulant que la destruction des ennemis des Musulmans marque «la fin de l’histoire».

Des évangélistes influents aux États-Unis, de même que certains mouvements en Israël, véhiculent de telles versions fantasmagoriques d’une apocalypse dont un seul «peuple choisi» doit triompher…

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Que faire? D’abord, pour les troupes américaines, quitter l’Irak et l’Afghanistan, sinon en 2006, au moins à une date décidée et annoncée cette année. Les guerres civiles qui font rage dans ces deux pays risquent de s’aggraver, mais l’ONU, l’Europe ou certains voisins peuvent, mieux que les Américains, intercéder auprès des factions.

On ne peut pas pacifier, démocratiser, libéraliser les peuples de force ou de l’extérieur. Ces élans doivent naître et se développer à l’intérieur de ces sociétés, en réaction à leurs problèmes distinctifs.

Les Talibans issus de la majorité pashtun resteraient les mieux placés pour reprendre le pouvoir à Kaboul. Ce sont eux qui avaient combattu l’occupant soviétique et les collabos du Nord du pays qui, pour l’instant, coopèrent sur le terrain avec les troupes de l’OTAN (dont plus de 2000 Canadiens). Les Talibans avaient refusé de livrer Oussama ben Laden aux Américains après le 11 septembre 2001. Il est peu probable que leurs nouveaux chefs commettent une telle erreur. On peut aussi s’arranger pour qu’ils ne puissent plus gouverner le pays sans partage.

Rappelons que l’administration Clinton savait qu’al-Qaïda était basée en Afghanistan à une époque ou cette organisation sévissait déjà contre les intérêts américains au Moyen-Orient et en Afrique, coulant des navires et faisant sauter des ambassades. On a perdu là une belle occasion d’intervenir et de prévenir l’escalade de la terreur.

Abandonné à son sort, l’Irak se démembrera sans doute en trois régions: un Kurdistan relativement stable au Nord, qu’il faudra persuader la Turquie d’accepter; des provinces chiites inféodées à l’Iran au Sud; et, autour de Bagdad, un centre sunnite qui pourrait tomber aux mains d’anciens soldats de Saddam… à moins qu’on s’entende pour l’annexer à la Syrie qui se réclame du même mouvement baathiste!

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Ce nouveau régime ne représenterait aucune menace pour ses voisins. Un tel résultat (sans la partition du pays) avait déjà été atteint par la première Guerre du Golfe, mais aurait pu être confirmé en menaçant d’envoyer un commando assassiner Saddam et ses sbires au lieu d’envahir le pays.

Cela n’aurait pas été une première et cela reste une approche moins dispendieuse que la guerre. Une seule mission israélienne de bombardement contre le réacteur d’Osirak avait mis fin aux ambitions nucléaires de Saddam, le 7 juin 1981, sans précipiter toute la région dans la guerre. Jérusalem et Washington envisagent sans doute un scénario semblable contre des installations iraniennes.

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Il faut ensuite régler le problème israélo-palestinien, qui exacerbe la haine anti-occidentale dans tout le monde arabo-musulman et en Asie, en Afrique, en Europe…

En l’absence d’interlocuteurs sérieux du côté palestinien, le nouveau premier ministre israélien semble vouloir opter pour un retrait derrière de nouvelles frontières de son choix. C’est un moindre mal. Même si ces frontières ne sont pas exactement celles de 1967, souhaitées par l’ONU, elles finiront par être reconnues si elles laissent aux Palestiniens un espace viable, libéré du harcèlement israélien.

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Enfin, il faudra bien corriger des anachronismes comme la présence permanente de flottes de guerre américaines en Méditerranée et dans l’océan Indien, de même que le maintien de bases militaires américaines sur des territoires étrangers non-consentants comme à Guantanamo (Cuba).

Les grandes réconciliations, ce sera pour la génération suivante.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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