La flambée de l’or noir était prévisible

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Publié 09/02/2006 par Nirou Eftekhari

La hausse du prix du pétrole qui a porté le baril à plus de 70 $ US – le double par rapport à son niveau de janvier 2004 – ne s’est pas accompagnée des ruptures et déséquilibres politiques qui ont marqué les deux chocs pétroliers, d’abord en 1973, lors de la 4e guerre israélo-arabe du Kipour, puis, en 1978-79, dans la foulée des événements qui ont conduit à la révolution iranienne et à la première guerre du Golfe. Il n’est cependant pas exagéré de qualifier les récentes fluctuations du marché de troisième choc pétrolier.

Il est vrai que c’est un événement climatique, le cyclone Katarina, dans le Golfe du Mexique et au Texas, deux cœurs de l’industrie pétrolière des États-Unis, qui a fait monter le prix du baril à des niveaux historiques sans précédent.

Cependant, la hausse des prix du pétrole était un processus déjà en cours. La catastrophe naturelle qui s’est déroulée au sud des États-unis n’a fait qu’amplifier la tendance.

Force est donc de constater que les récentes hausses des prix du baril ne sont pas le résultat de quelques facteurs conjoncturels, mais reflètent plutôt les déséquilibres structurels du marché pétrolier, à savoir le gonflement de la demande face à une offre qui ne progresse pas au même rythme et montre des signes de stagnation et d’essoufflement.

Le monde produit et consomme environ 80 millions de barils de pétrole par jour. Les États-Unis, à eux seuls, en consomment presque le quart, suivis par la Chine qui avec ses sept millions de barils, a remplacé le Japon comme deuxième consommateur mondial de pétrole.

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Les experts s’interrogent sérieusement sur la disponibilité des approvisionnements pétroliers et craignent une rupture de l’équilibre énergétique mondial dans un avenir proche si des pays fortement peuplés, tels que la Chine et l’Inde, poursuivent leur industrialisation selon le modèle occidental, en continuant de miser sur des produits fortement énergivores comme l’automobile.

Du côté de l’offre, il est peu probable que l’on découvre ailleurs dans le monde des réserves aussi importantes que dans le Golfe Persique qui, à lui seul, recèle plus des deux tiers des réserves de pétrole mondial.

Les récentes découvertes en bordure de mer Caspienne, notamment en Kazakhstan, ne permettent pas de contrebalancer la croissance de la demande mondiale, dont la progression dépasse les volumes explorés et potentiellement exploitables.

Les risques d’une rupture des approvisionnements pétroliers, accompagnée de rivalités intercontinentales pour s’emparer de l’or noir, sont de plus en plus pris au sérieux.

Pour certains observateurs, c’est également dans cet esprit qu’il faut comprendre l’intervention militaire américaine qui a eu lieu en Irak en 2003, sous prétexte de mettre fin aux armes d’extermination massive que l’on a pourtant jamais découvertes.

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Dès le début des années 70, plusieurs économistes et spécialistes des questions pétrolières ont émis la thèse que les événements politiques qui ont déclenché le processus de hausse des prix pétroliers, ont en quelque sorte masqué une tendance de fond du marché des hydrocarbures qui, en tant comme matières premières fossiles, sont des produits non-renouvelables et disponibles en quantité limitée.

Selon eux, pour disposer de pétrole en quantités suffisantes, le prix du baril devait augmenter à un niveau suffisamment élevé permettant de rentabiliser l’exploitation des gisements plus difficilement accessibles ainsi que le financement de la production du pétrole non-conventionnel, comme celui des mers profondes, des schistes bitumineux, des sables asphaltiers, etc.

Une autre thèse soutenait l’idée que le quadruplement du prix du pétrole décidé par l’OPEP [Organisation des pays exportateurs de pétrole] en 1973, s’est fait avec le consentement de l’administration américaine qui était devenue de plus en plus inquiète de la dépendance énergétique des États-unis, devenus importateurs nets de produits pétroliers depuis 1948.

La nécessité de rentabiliser les gisements américains, bien plus difficiles et coûteux à exploiter que ceux du Moyen-Orient où le coût de production d’un baril est excessivement faible, pourrait également avoir joué un rôle dans la flambée des prix de l’or noir.

À l’époque, la hausse des prix pétroliers permettait également aux Américains de renforcer le statut du dollar, devenu fragile par l’effondrement du système monétaire international en 1971.

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La baisse du prix du pétrole dans les années 80 et au cours de la décennie suivante, en raison de l’anarchie et du manque de discipline des pays exportateurs, a en quelque sorte fait oublier le déséquilibre profond du marche pétrolier mondial, entretenant l’illusion que le prix du baril subissait seulement l’influence des aléas politiques et était donc déconnecté des réalités économiques et techniques.

En dévoilant les tendances lourdes de l’industrie pétrolière, la montée en flèche du prix du baril durant l’été 2005 a complètement balayé ces illusions. De nombreux experts s’accordent pour confirmer que la forte hausse du prix du baril est une réalité irréversible et incontournable à laquelle les consommateurs devront s’habituer à l’avenir.

Sans tomber dans le piège des prévisions alarmistes d’il y a 20 ou 30 ans prophétisant la fin imminente du pétrole en raison de son épuisement accéléré, il faut reconnaître qu’en tant que ressource épuisable, celui-ci ne peut pas être exploité sans se soucier des graves et sérieux problèmes de disponibilité à long terme. Seule une gestion rationnelle et programmée des réserves disponibles ou potentiellement exploitables peut nous éviter des chocs et les désagréables surprises survenues récemment.

Cependant, une telle gestion est rendue impossible en raison de la multiplicité des acteurs et des décisions sur la scène pétrolière internationale et des intérêts individuels et divergents qu’ils poursuivent. À chaque hausse du prix du baril, les grandes compagnies pétrolières, s’en donnent à cœur joie pour gonfler leurs bénéfices, tandis que les pays exportateurs, en mal de légitimité, remplissent leurs coffres pour financer leurs ambitions politiques à coups de pétrodollars. Finalement, en taxant fortement les produits raffinés, les pays consommateurs cherchent à assainir les finances publiques afin d’assurer leur réélection.

La crise pétrolière actuelle est également révélatrice de l’incohérence et du manque d’efficacité des principes de l’économie de marché qui s’intéressent seulement aux phénomènes à court terme en ignorant les besoins et impératifs à long terme. En témoignent par exemple le réchauffement de la planète et de l’effet de serre provoqué par la consommation immodérée des sources d’énergie fossiles ou, encore, le faible développement des sources d’énergie renouvelables (éolienne, solaire, thermiques, biocarburants) qui ont été négligées, parce que financièrement peu rentables.

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Du pétrole, à la fois source d’énergie et matière première stratégique, et du prix de son baril dépendront la stabilité énergétique mondiale et l’avenir écologique de la planète. La récente augmentation du prix du pétrole est également l’occasion d’une prise de conscience d’une réalité qui ne peut plus être ignorée.

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