La fin des secrets

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 20/12/2010 par François Bergeron

L’année 2010 a été marquée, entre autres, par l’irruption de WikiLeaks sur la scène internationale, sonnant la fin de la culture du secret. Autre signe des temps: le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg, a été choisi «personne de l’année» par le magazine Time.

Arthur C. Clarke et Stephen Baxter envisageaient déjà une société où une nouvelle technologie rendrait toute confidentialité, vie privée et intimité impossibles, dans le roman The Light of Other Days, publié en 2000.

Jusqu’à maintenant, la génération Facebook/Twitter/YouTube dévoile encore volontairement ses états d’âme et ses petits problèmes aux «amis» virtuels que ça peut intéresser. Personne n’est obligé d’avoir un compte Facebook, ni de recevoir un «tweet».

En théorie, les nouveaux médias sont soumis aux mêmes lois contre la diffamation qui régissent les médias traditionnels. En pratique, il est souvent plus difficile – et futile – de poursuive les internautes. Les sites Web les plus intéressants restent ceux des grands journaux, d’ailleurs les plus consultés quand surviennent des événements majeurs.

Nos gouvernements, institutions publiques et corporations n’ont pas encore fait le même voeu de transparence que nos ados. Mais on a de bonnes raisons de croire – de se réjouir – que les tentatives d’emprisonner Julian Assange et de couper les vivres à Wikileaks ou à d’autres entreprises de divulgation de renseignements officiels sont vouées à l’échec.

Publicité

Le génie s’est échappé de la lampe. La technologie permettant de pirater les données et de les diffuser est répandue dans tous les pays, où les informaticiens talentueux sont nombreux. Même des dictatures comme la Chine n’osent pas se priver complètement de l’Internet, choisissant de bloquer temporairement des mots-clés de recherche comme, récemment, «Prix Nobel» ou «chaise vide»…

On a d’ailleurs reproché à Wikileaks de s’attaquer aux États-Unis et aux démocraties occidentales, plutôt qu’aux régimes plus dangereux (dont la liste est longue: de la Corée du Nord au Vénézuéla, en passant par une grande partie du Moyen-Orient et de l’Afrique).

C’est un argument spécieux, le même qu’on utilise aussi parfois pour critiquer la démocratie elle-même parce qu’elle laisse le champ libre à ses ennemis.

Les mensonges et les complots criminels sont dans la nature des régimes illégitimes: ce ne sera jamais un scoop. Ce qui est «scandaleux» et fait l’objet de «révélations», c’est quand on trouve de telles tentations totalitaires dans nos sociétés où nos libertés sont censées être mieux respectées.

* * *

Publicité

Nos tribunaux paraissent dépassés par la nouvelle technologie, imposant régulièrement à des accusés des conditions de libération médiévales: interdiction de communiquer avec d’autres accusés ou complices présumés par téléphone ou courriel ou même par lettre ou par messager. Pourquoi? Qu’est-ce qu’un protestataire arrêté lors du G20 à Toronto peut bien avoir à dire à ses amis, voire aux médias, qui soit si dangereux?

Au Canada comme dans plusieurs autres pays, les juges sont également trop prompts à imposer des interdictions de publication, soi-disant pour protéger le droit d’accusés à un procès équitable. Interdiction que respectent les médias traditionnels, mais que des blogueurs anonymes réussissent souvent à bafouer.

Dans certains cas, on prétend même interdire aux médias de rapporter les raisons de l’interdiction, quand ce n’est pas l’existence même de l’ordonnance de non-publication.

Autre situation kafkaesque: quelques personnes, au Canada, sont encore certifiées «menace à la sécurité nationale» sans faire l’objet d’accusations précises ni que les autorités aient à fournir d’explications.

On s’entend que toute vérité n’est pas toujours bonne à dire, dans les vrais médias comme sur Facebook ou sur Wikileaks, que les renseignements personnels que nous avons fournis à nos ministères de la Santé ou du Revenu n’ont pas à être diffusés, et que des opérations policières ou militaires contre de véritables criminels ne doivent pas être compromises par des révélations prématurées.

Publicité

Pour en finir avec le G20: l’année 2010 aura été celle du règlement adopté en secret à Queen’s Park pour protéger la partie du centre-ville de Toronto qui se trouvait derrière la clôture. Tout le monde semble avoir compris qu’on ne peut plus faire une chose pareille.

* * *

L’économie mondiale se relève encore mal de la mauvaise surprise de 2008, l’éclatement de la bulle des prêts hypothécaires américains, qui a exposé le dysfonctionnement des banques centrales et l’imprévoyance de nos gouvernements. On aurait aimé qu’un journal ou un site comme Wikileaks tire la sonnette d’alarme avant qu’un tel endettement ne devienne ingérable.

Tout ce que les conversations ou les correspondances secrètes des ministres des Finances nous apprendraient aujourd’hui est que la situation est plus périlleuse qu’ils ne le proclament en public. Ça non plus ce n’est plus un scoop.

Le phénomène Wikileaks se développe justement parce qu’on ne souhaite plus de mauvaise surprise: ni sur la situation économique, ni sur l’environnement, ni sur les relations internationales.

Publicité

L’information la plus complète est un droit fondamental, contenu dans ce qu’on appelle dans nos Chartes la «liberté d’opinion». Ce droit est distinct de la «liberté d’expression», qui est celle de pouvoir diffuser nos opinions. La liberté d’opinion, c’est celle de pouvoir s’informer afin de se faire une opinion, donc d’avoir accès à l’information.

Je vous souhaite un Joyeux Noël et une année 2011 où l’information la plus juste circule le plus librement!

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur