La démocratie, une oeuvre inachevée

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Publié 17/02/2011 par François Bergeron

Depuis quelques semaines, tous les regards sont tournés vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, où la révolte populaire qui a renversé la kleptocratie tunisienne, puis forcé le président égyptien Hosni Moubarak à la retraite, pourrait ébranler ou faire tomber d’autres régimes autoritaires – qui sont légions sur ces deux continents.

On souhaite, bien sûr, que toutes les nations finissent par s’émanciper, tout en s’interrogeant légitimement sur la vraie nature et la compétence des nouveaux gouvernements qui émergeront du brasse-camarade actuel, vu le peu d’expérience de la démocratie et de la liberté dans ces sociétés.

Heureusement, ces valeurs universelles sont faciles à comprendre et sont applicables sous toutes les latitudes. À la base, il faut surtout qu’il ne soit plus dangereux de critiquer publiquement l’action du gouvernement, que les médias indépendants soient autorisés, que tous les courants de pensée aient le droit de s’organiser et se présenter au cours d’élections honnêtes, et bien sûr que les éventuels élus n’abusent pas de leurs pouvoirs pour étouffer la dissidence et empêcher une future alternance.

La démocratie n’apporte pas, comme par magie, la prospérité et la justice. Mais c’est un moyen (le meilleur qu’on connaisse) d’y travailler. Un pays, une culture, une économie seront toujours une oeuvre inachevée.

L’Occident s’attend à ce que les nouvelles administrations continuent de coopérer à maintenir la paix et la sécurité dans le monde. Ce sont souvent de tels impératifs qui nous ont amenés, au cours des dernières décennies, à soutenir – quand ce n’est pas carrément à installer – certains des généraux, rois et présidents à vie qui sont contestés aujourd’hui.

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C’est le même impératif qui nous motive à entretenir des relations à peu près normales avec le régime chinois, qui n’a rien de démocratique et où les droits et libertés fondamentales sont systématiquement bafoués (les nouvelles des révoltes dans le monde arabe y sont d’ailleurs censurées, notamment sur internet, comme l’avaient été les reportages sur l’attribution du prix Nobel de la Paix à un dissident chinois emprisonné).

On a comparé les événements actuels à ceux qui ont entraîné la chute du communisme en Europe de l’Est en 1989 et la fin de la Guerre froide. Le renversement des régimes autoritaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient nous permettra-t-il, cette fois, d’en finir avec la Guerre au terrorisme?

L’événement déclencheur de ce qui ferait entrer 2011 dans les livres d’histoire est un drame survenu dans la ville de Sidi Bouzid, dans le sud de la Tunisie, le 17 décembre dernier. Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans, s’est immolé par le feu quand des policiers ont saisi son étal de fruits et légumes sous prétexte qu’il n’avait pas de permis, peut-être pour le rançonner, peut-être seulement pour l’humilier. Il est mort le 4 janvier. Son désespoir a interpellé une grande partie de la jeunesse arabe dont l’avenir paraît bloqué, ainsi que tous ceux qui ont faim, qui ont peur ou qui ont honte sous ces dictatures.

J’ai visité la Tunisie il y a cinq ans. De belles plages et d’impressionnantes ruines romaines; une capitale méditerranéenne et des régions plutôt pauvres, mais relativement sécuritaires; des antennes satellites sur la plupart des toits et des balcons; les journaux étrangers en vente libre. Mais les médias tunisiens eux-mêmes étaient contrôlés de près par le gouvernement. Et on voyait le portrait du président Ben Ali partout, sur les bâtiments publics comme dans les hôtels, les boutiques et même les taxis. «Les gens l’aiment beaucoup», expliquait-on en détournant le regard, quand on demandait pourquoi. La preuve: il venait d’être réélu avec 90% des voix… Autrement dit, la police secrète était partout et il valait mieux ne pas se mêler de politique.

En privé, certains intellectuels tunisiens reconnaissaient que tout ça faisait un peu trop soviétique, mais soulignaient que l’alternative était pire: les islamistes rétrogrades, comme ceux qui étaient au pouvoir en Iran ou qui égorgeaient les gens en Algérie voisine (depuis 1991, année où le régime militaire a annulé le second tour d’élections législatives que les islamistes allaient remporter).

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Le risque de dérapage est réel et l’alternative religieuse est sans doute aussi peu démocratique, voire pire, que plusieurs de ces dictatures militaires à la Ben Ali ou Moubarak. Dans les lignes ouvertes (chez nous) et sur internet, les Iraniens implorent les Tunisiens et les Égyptiens de ne pas répéter leur erreur de 1979 quand ils ont remplacé la dictature du shah par celle des ayatollahs. L’Iran est d’ailleurs aujourd’hui l’un des pays mûrs pour une révolution inspirée des récentes victoires des Tunisiens et des Égyptiens.

Rarement un tel vent de changement a-t-il balayé une si grande région du monde, et il ne faut pas s’attendre à ce que ses répercussions soient toutes immédiatement positives. À terme, cependant, on peut espérer que la fameuse «rue» arabe soit davantage animée par une volonté d’améliorer son sort que de s’inventer de nouveaux ennemis. 

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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