Avec De retour à la source, déjà son huitième album, Isabelle Boulay marque son entrée dans le giron d’Audiogram et la réalisation d’un rêve qu’elle entretenait depuis longtemps, celui de rendre hommage à ce frisson originel que lui procura le country, cette musique trop facilement dénigrée et que l’on retrouve pourtant, tel un fil conducteur, chez tout bricoleur de refrains qui a grandi – en anglais ou en français – sur cette terre d’Amérique.
Évidemment, pour une artiste de la stature de Boulay, il n’était pas question de laisser quoi que ce soit au hasard. En s’entourant de musiciens pour qui le country est la langue maternelle et en ne sollicitant que des auteurs-compositeurs consacrés ou dont l’étoile est en ascension (Michel Rivard, Zachary Richard, Luc de Larochellière, Louise Forestier, André Gagnon, Jorane et «notre» Damien Robitaille), l’interprète gaspésienne cultive à la perfection le paradoxe du country moderne, qui cherche à la fois à être reconnu comme art et comme artisanat, comme musique pop et comme expression d’une mémoire rurale, voire pré-industrielle.
Car il faut dire que la magie du country réside dans ses dualités: comme le blues, il est à la fois la blessure et l’onguent, et les chansons que Boulay a retenues traduisent bien ce «mal qui nous fait du bien», comme le chantait Ferré à propos d’autre chose.
Malgré tout, De retour à la source est le genre d’album dont on peut dire qu’il a les qualités de ses défauts: pour chaque délicieux frisson (je pense notamment à De Matane à Bâton Rouge, qui porte l’ADN musical de Michel Rivard, ou à l’adaptation française du classique If I Needed You de Townes Van Zandt), on doit malheureusement se farcir quelques chansons dont la mélancolie est trempée dans le sucre.
Mais en bout de ligne, l’album trahit une remarquable cohérence, qui doit beaucoup à sa palette instrumentale (dobro, mandoline, harmonica et, bien sûr, pedal steel nous annoncent qu’on est au pays du country), mais aussi à la remarquable sobriété de ses interprétations. À l’instar d’Allison Kraus ou d’Emmylou Harris, en effet, Isabelle semble comprendre instinctivement que le point G du hurtin’ song n’est accessible qu’à ceux qui savent doser l’abandon et la pudeur.