Interdire le voile: liberticide ou libérateur?

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 17/04/2010 par François Bergeron

Il y a des couples qui discutent de sport ou de vedettes le matin au petit-déjeuner, après (ou avant) avoir réglé les affaires de la famille et le cas des amis. Chez nous, on discute de la burqa.

En fait, on lit le journal et on discute de l’actualité en général; donc, ces temps-ci, de la possibilité d’interdire au Canada le niqab, qui voile le visage des musulmanes, et la burqa, qui recouvre tout.

Comme les Belges et peut-être bientôt les Français, les Hollandais et d’autres Européens, ma femme veut une interdiction totale, partout, tolérance zéro.

Je suis plutôt Québécois, acceptant une prohibition dans les services publics mais réticent à intervenir sur le trottoir ou au centre d’achats. Comment ferait-on? La police leur courrait après pour leur découvrir le visage, les emmener au poste et les accuser d’un méfait passible d’amende, comme pour quelqu’un qui se promènerait tout nu?

Curieusement, ma femme n’aime pas mon idée de limiter l’immigration en provenance des pays d’où viennent les intégristes, et de refouler les familles qui arrivent avec des femmes voilées. Ce serait de la « discrimination », craint-elle, en plus d’être inefficace parce que les hommes ordonneraient à leurs femmes d’ôter leur voile à l’aéroport pour le remettre dès la frontière franchie.

Publicité

Il me semble que l’interdiction du voile dans tous les lieux publics est encore plus « discriminatoire » qu’à l’immigration seulement. On est chez nous: on a le droit de choisir (le sens premier de « discriminer ») qui entre ou n’entre pas chez nous. C’est quand on a accepté ces familles qu’on est mal pris, après, pour leur dire de changer de culture.

Évidemment c’est dans l’esprit missionnaire le plus noble que ma pas-si-douce moitiée veut s’attaquer à la burqa: pour libérer ces pauvres femmes. C’est pour mieux les affranchir qu’elle les laisserait entrer chez nous voilées: si on les renvoie d’où elles viennent, elles continueront d’être opprimées.

Personnellement, c’est parce que je n’ai pas de patience pour ceux qui entretiennent des pratiques religieuses ou politiques débilitantes que le sort du monde musulman ne m’intéresse que d’un point de vue académique. En vertu du même isolationnisme, je suis contre l’occupation « altruiste » de l’Afghanistan par l’OTAN.

C’est donc ma femme qui va gagner, parce qu’elle est plus motivée à bannir le voile que moi à défendre le droit des musulmanes à continuer de porter leur prison en tissu. Nos gouvernements, qui surveillent ces tendances, arriveront aux mêmes conclusions: cet acte liberticide, à portée très limitée, plaira au plus grand nombre.

Laïcit?

Avec des amis français, cette discussion sur le niqab et la burqa finit toujours par virer sur les signes religieux « ostentatoires », désormais interdits dans la fonction publique française, notamment à l’école.

Publicité

La laïcité est une obsession chez les Français: afficher ses couleurs politiques ou ses goûts artistiques relève de la liberté d’expression, mais afficher ses croyances religieuses est criminalisé. C’est irrationnel.

Chez nous aussi, le principe de la séparation de l’Église et de l’État est valorisé. Mais en France, c’est la « République » qui est réputée « laïque ». Et la République, c’est plus que l’État: c’est dans l’air qu’on respire.

Je continue de prétendre que ce statut particulier accorde à la religion une importance ou une influence qu’elle n’aurait pas si on restait indifférent à ses manifestations. En quoi la vue d’une croix ou d’une kippa ou d’un foulard chez un fonctionnaire devrait émouvoir davantage le citoyen que la vue sur son vêtement du drapeau de l’Union soviétique ou du logo des Beatles?

Réponse tautologique de mes amis français: c’est une atteinte à la laïcité de la République.

Les Européens n’approchent pas le problème par le même bout que nous, Nord-Américains. Notre inquiétude (la mienne, en tout cas), c’est qu’après le voile, l’État cherche à interdire d’autres choix personnels. L’inquiétude en France, c’est que si on autorise le foulard dans les services publics, on encourage d’autres particularismes ou communautarismes à s’y affirmer.

Publicité

Chez nous, tout ce qui n’est pas interdit est permis. Dans les vieux pays, tout ce qui n’est pas validé par l’État est suspect.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur