Innover pour pacifier l’Irak et la Syrie

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Publié 23/09/2014 par François Bergeron

Pensez vite: quelle est la dernière fois que les États-Unis ont déclaré la guerre à un autre pays?

Au début du mois, quand Barack Obama a promis de «dégrader et détruire» l’État islamique (ÉI) par des bombardements en Irak et en Syrie?

Non, le président n’a pas demandé pour cela l’approbation du Congrès, seule instance américaine mandatée par la Constitution pour voter une déclaration de guerre en bonne et due forme. Tout au plus a-t-il consulté les chefs des Démocrates et des Républicains des deux chambres avant d’autoriser ce nouvel engagement (après le retrait officiel des forces américaines d’Irak en 2011).

L’invasion de l’Irak, en 2003, n’avait pas non plus été précédée d’une déclaration de guerre formelle. Le président George W. Bush invoquait une résolution du Congrès autorisant l’usage de la force contre la «menace» posée par l’Irak: le mensonge sur «armes de destruction massive».

Cette résolution s’ajoutait à une autre carte blanche votée en 2001, suite aux attentats du 11 septembre à New York et Washington, autorisant le président à utiliser «toute la force nécessaire contre les nations, organisations ou personnes ayant planifié, autorisé, commis ou aidé» les attaques terroristes.

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L’armée du nouveau «califat», composée surtout d’opposants au régime syrien et d’anciens soldats irakiens sunnites, mais aussi de quelques milliers de Tchétchènes et de musulmans occidentaux (Britanniques notamment), a recruté des membres ou des sympathisants d’al-Qaïda, mais c’est une nouvelle organisation distincte, aux objectifs plus locaux que mondiaux.

L’élimination d’Ousama ben Laden en 2011 au Pakistan tombait clairement sous la résolution de 2001, mais peut-on en dire autant de la guerre de drones menée depuis quelques années contre la nébuleuse terroriste en Somalie, au Yémen, en Afghanistan?

Avec ce nouvel engagement en Irak et en Syrie, Barack Obama se résigne à ce que les Américains pataugent dans ce bourbier pendant encore plusieurs années. Et il ne faut pas oublier le Nigéria, où la milice Boko Haram a proclamé elle aussi un «califat»… Et c’est le chaos en Libye… Et le cas de l’Afghanistan est encore loin d’être réglé… Et l’Égypte peut encore exploser…

Prix Nobel de la Paix en 2009 (la première année de son mandat, donc pour l’encourager…), Obama n’aura pas non plus réussi à arbitrer une paix durable entre Israël et ses voisins. Les Juifs de là-bas et de chez nous sont même de plus en plus convaincus de la futilité de négocier avec les Palestiniens.

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L’État islamique, qui couvre en Syrie et en Irak un territoire grand comme le Portugal où vivent environ 5 millions d’habitants, a bien sûr pour ennemis immédiats les régimes de Damas et de Bagdad, tous deux alliés de l’Iran chiite. En effet, outre la résistance à l’envahisseur occidental (des Croisades à nos jours), de même que les tensions entre les anciens et les modernes, l’affrontement entre chiites et sunnites colore la plupart des alliances.

Colin Powell avait averti George W. Bush: «si on le brise, c’est à nous», dans le sens «on devra le payer», en parlant de l’Irak…

Les Américains ont «brisé» l’Irak en trois morceaux. Les chiites du sud, plus nombreux, ont pris le pouvoir à Bagdad. Les Kurdes ont créé l’embryon d’un Kurdistan indépendant au nord (au grand dam de la Turquie, où s’agitent encore plus de Kurdes). Les sunnites, d’où étaient issus les militaires et la classe la plus éduquée et la plus prospère du pays, ont été mis au ban de la société et poussés dans les bras d’al-Qaïda, puis de l’ÉI.

Le comble, c’est que des armes et de l’aide fournies par les États-Unis et l’Arabie Saoudite aux rebelles syriens se sont retrouvées entre les mains de l’ÉI – probablement aussi des combattants entraînés par eux.

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Ce n’est pas une coalition de pays occidentaux – encore moins les États-Unis seuls – qui réussira à vaincre l’ÉI et à décourager de semblables entreprises ailleurs. Les pays limitrophes devront participer activement à cet effort. Plusieurs d’entre eux devront laisser de côté leurs rivalités et réinventer leurs relations… À commencer par les Américains.

De concert avec Israël et l’Arabie Saoudite, les États-Unis devront essentiellement réexaminer leurs relations avec l’Iran et la Syrie. Aussi odieux que cela puisse paraître, on doit peut-être abandonner l’idée de renverser le régime Assad à Damas, le plus motivé dans cette guerre contre l’ÉI, son ennemi mortel.

Depuis la chute de Saddam, l’influence de l’Iran en Irak est déterminante. L’Iran soutient aussi le régime Assad en Syrie, le Hezbollah au Liban et le Hamas à Gaza. Il nous faut donc («nous» les Occidentaux: Américains, Canadiens, Européens, Israéliens), sinon nous réconcilier publiquement avec l’Iran, du moins nous entendre sur un modus vivendi où l’élimination de l’ÉI deviendrait prioritaire.

Le nouveau président iranien semble moins fanatique et revanchard que son prédécesseur: profitons-en. L’Arabie Saoudite détesterait un tel réalignement, mais ce pays-là aussi doit évoluer.

La Russie et la Chine, enfin, profiteraient vraisemblablement de ces développements en tant qu’alliés diplomatiques – et parfois sur le terrain – de la Syrie et de l’Iran. Ce serait dur à avaler à Washington.

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En Irak même, bien sûr, le nouveau gouvernement, toujours issu de la majorité chiite, doit tout mettre en oeuvre pour redonner confiance à la minorité sunnite en lui promettant et en amorçant un juste partage du pouvoir et sa réintégration dans les institutions, notamment dans l’armée.

Et les Kurdes au nord? L’ÉI est déjà à leurs portes. Ils seront parmi les premiers à recevoir le soutien tactique promis par Obama. Idéalement, ils devront participer au gouvernement de l’Irak au même titre que les sunnites et les chiites. À long terme, ils continueront de réclamer une pleine souveraineté, mais la Turquie n’acceptera jamais que son territoire soit amputé de ses provinces kurdes de l’Est.

Déjà, les réticences de la Turquie (pourtant un membre de l’OTAN) à s’impliquer dans la campagne militaire contre l’ÉI visent probablement à soutirer aux autres partenaires des assurances qu’ils ne favoriseront pas la création d’un Kurdistan indépendant.

Comme on l’a dit plus haut: un bourbier…

Et combien tout cela va-t-il coûter?

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Réponse à la question du début: c’est le 5 juin 1942 que le Congrès des États-Unis a voté pour la dernière fois une «déclaration de guerre», contre la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie alliées à l’Allemagne nazie.

L’intervention en Corée sous l’égide des Nations-Unies, l’escalade de la guerre du Vietnam sous Johnson, puis Nixon, la première Guerre du Golfe de George H. Bush le père pour repousser les Irakiens du Koweït, comme les bombardements de l’OTAN contre la Serbie pour défendre le Kosovo et contre la Libye pour renverser Khadafi, ont bien sûr fait l’objet de nombreux débats au Congrès, les opposants faisant justement remarquer l’absence inconstitutionnelle de déclaration de guerre. Mais chaque fois, la marge de manoeuvre du président en est sortie confirmée et renforcée.

Une «déclaration de guerre» serait donc un concept archaïque, comme le gant dans le visage provoquant un rival en duel, incompatible avec la politique internationale moderne. L’ennemi est souvent moins facilement identifiable et localisable que dans passé.

Nos parlements restent cependant le lieu privilégié et incontournable des débats et des décisions sur ces questions. Avant d’envoyer nos soldats en Irak ou en Syrie, Stephen Harper aurait dû soumettre la question à un débat et à un vote du Parlement. Il est d’ailleurs encore temps de le faire.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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