«Il faut créer davantage de liens entre candidats et entreprises à la recherche de personnel bilingue»

Conférence sur le bilinguisme et l’emploi à Toronto

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Publié 21/02/2006 par Marta Dolecki

Dans la région du Grand Toronto ainsi que dans le sud-ouest de l’Ontario, la grande séduction menée auprès des patrons passe aujourd’hui par la maîtrise de la langue de Shakespeare, avec, en parallèle, celle de Molière comme complément nécessaire.

Avec un taux de chômage en nette régression ces derniers mois, l’avenir semble prometteur pour les Canadiens à la recherche d’un emploi. Il s’annonce d’autant plus radieux pour ceux qui affichent sur leur curriculum vitae la maîtrise courante du français et de l’anglais.

Le bilinguisme et l’emploi étaient justement au cœur d’une conférence jeudi dernier à Toronto. L’événement, organisé par le Collège Boréal, a réuni plus d’une centaine d’intervenants du monde du travail.

Confiants, les participants à la conférence ont évoqué avec optimisme les avantages offerts par la maîtrise des deux langues officielles, tout en rappelant les difficultés allant de pair avec les réalités du bilinguisme au sein de l’entreprise.

Finie l’époque où un employé unilingue anglophone devait transférer un appel en provenance du Québec ou de la France à son confrère maîtrisant suffisamment bien la langue de Molière. Avec la multiplication des partenariats et des accords commerciaux entre pays et provinces, le bilinguisme est devenu un critère majeur exigé par bon nombre de compagnies.

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Même dans une province anglophone comme l’Ontario, les employés capables de passer de l’anglais au français sans le moindre problème sont désormais prisés par les entreprises. Selon une enquête menée en 2003-2004 par le Collège Boréal auprès de 1 000 employeurs, ils seraient 40% dans la province à accorder une grande importance au bilinguisme.

Et, à la loterie de l’emploi, les candidats auront plus de chances de décrocher le gros lot s’ils sont capables de maîtriser le français et l’anglais sur un pied d’égalité. Le même sondage indique que le salaire moyen d’un employé bilingue est – selon les différentes régions de la province – de 10 à 40% supérieur à celui d’un employé unilingue.

«Les études le démontrent, les gens qui possèdent la maîtrise des deux langues bénéficient d’un avantage énorme», fait valoir Gisèle Chrétien, présidente du Collège Boréal et l’une des organisatrices de la conférence qui a pour but d’identifier de meilleures manières de recruter du personnel bilingue.

Interrogés sur la valeur du français et du bilinguisme dans la nouvelle économie, les participants à la conférence sont unanimes. «Le bilinguisme vaut de l’or.» Le directeur marketing de l’agence de placement et de recrutement Adecco, Stéphane Jean, en est persuadé.

Et d’ajouter qu’un diplôme seul ne fait désormais plus office de passeport vers le marché du travail. «Autant ce dernier va être intéressant, autant le bilinguisme est essentiel. Un francophone qui vient du Québec et parle uniquement français va posséder un champ d’action limité. On lui ajoute une langue seconde, l’anglais, et c’est tout de suite un nouveau monde qui s’ouvre à lui. La même chose est vraie d’un anglophone à qui l’on enseigne le français.»

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Inégalité des chances en matière de bilinguisme

Cependant, relativement aux questions d’accès et d’équité à l’emploi, le bilinguisme n’est pas donné à tout le monde.

Si une ville comme Ottawa demeure reconnue pour sa main d’œuvre bilingue et qualifiée, Toronto, elle, est davantage considérée comme une métropole multiculturelle qui accueille en son sein de nouveaux arrivants issus d’horizons divers. Parmi eux figurent des francophones qui maîtrisent bien leur langue -maternelle, mais pas forcément l’anglais.

La validation des diplômes, la reconnaissance des acquis par certains ordres professionnels, l’apprentissage de l’anglais comme langue seconde viennent s’ajouter aux nombreux obstacles qui viendront rendre leur marche vers le bilinguisme d’autant plus longue et difficile.

Pour aider tout employé désireux d’atteindre son plein potentiel, certaines entreprises sont prêtes à donner des cours d’anglais gratuitement, mais là encore, l’apprentissage d’une nouvelle langue prend du temps. Comme pour toute chose, on ne devient pas bilingue en deux temps, trois mouvements.

Les défis dans le recrutement de personnel bilingue

Des améliorations non-négligeables seraient donc à apporter dans le domaine de la formation et du recrutement de la main d’œuvre bilingue. Invité à la conférence sur l’emploi et le bilinguisme, le ministre de la Formation des Collèges et Universités de l’Ontario, Chris Bentley, parle de combinaison inextricable entre bilinguisme et succès économique.

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Mais il souligne aussi la nécessité de créer davantage de liens entre les entreprises à la recherche de personnel bilingue et les institutions postsecondaires formant les étudiants capables de fonctionner dans les deux langues officielles.

«D’un côté, des institutions comme le Collège Boréal vont former de futurs employés dans un domaine particulier et de l’autre, il existe des compagnies qui ont besoin de ces mêmes employés. Le mariage entre les deux est-il aussi bon qu’il devrait l’être?, s’interroge le ministre. Beaucoup d’opportunités ne sont pas exploitées, estime-t-il. Les compagnies devraient établir des partenariats avec les institutions qui forment les étudiants dans les domaines ciblés. Il faut créer davantage de liens entre les candidats et les entreprises à la recherche de personnel bilingue. Pourquoi attendre et voir qui va répondre à l’annonce passée dans un journal? Les entreprises devraient aller consulter sur place les établissements, leur demander qui sont les futurs diplômés et, surtout, quand est-ce qu’ils sont disponibles», remarque le ministre.

Difficulté à combler des postes hauts placés

Avoir recours aux petites annonces dans la presse, c’est justement l’une des tactiques employées par la Banque nationale du Canada quand cette dernière a voulu recruter un candidat bilingue à Toronto afin d’y combler un poste à la direction nécessitant des compétences élevées.

«Nous avons des ouvertures de postes significatives pour les francophones bilingues qui désirent travailler dans leur langue maternelle à Toronto. Seulement, il semble que nous ne soyons pas reconnus comme faisant partie du réseau d’employeurs francophones», soupire Eleanor McIntyre, vice-présidente d’Altamira, une filiale de la Banque nationale du Canada.

Même en faisant passer des annonces semblables sur le site Intranet de la banque, et à l’externe, sur le site Workopolis ainsi qu’au sein d’agences spécialisées dans le recrutement de cadres supérieurs, le poste de direction supérieure de la Banque nationale est resté vacant pendant six mois.

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C’est tout le temps qu’il aura fallu pour trouver et embaucher la perle rare: un candidat montréalais se justifiant d’expérience et de qualifications similaires pour le poste de Toronto. Pour la banque, le coût total de l’opération est venu se chiffrer à 40 000$, occasionnés par les dépenses en recherche d’emploi.

À chances égales, Mme McIntyre affirme que les dirigeants de la Banque nationale auraient préféré engager un francophone bilingue originaire de l’Ontario, simplement pour éviter les divers frais de recherche, d’hébergement et de transfert du candidat montréalais.

«En Ontario, il n’y a pas vraiment d’indicateurs clairs qui nous permettent d’identifier, sur le marché du travail, les candidats francophones bilingues qui se justifient de plusieurs années d’expérience dans le domaine recherché. Nous travaillons certainement avec le Collège Boréal qui nous fournit des candidats pour un premier emploi à la sortie de l’école, mais, lorsque nous parlons de postes bilingues exigeant des compétences plus grandes, il est vraiment difficile de trouver du monde», justifie la vice-présidente d’Altamira.

Au Collège Boréal, Gisèle Chrétien reconnaît l’existence de ce défi supplémentaire. «Nous avons beaucoup travaillé avec des employeurs dans des secteurs où les besoins étaient criants, que ce soit dans le domaine des hôpitaux, des services sociaux, des services de garde. Cependant, il est aussi important que nous puissions nous étendre dans le domaine du commerce, de l’industrie, des services et des métiers. C’est cela qui va être nouveau pour nous», admet la présidente du collège.

À ce sujet, le ministre Bentley reconnaît qu’ils existe en Ontario un nombre restreint d’institutions postsecondaires capables de dispenser un enseignement et des programmes spécialisés en français.

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Au niveau provincial, un comité consultatif sera créé sous peu avec comme objectif de trouver des moyens favorisant un meilleur accès à une éducation postsecondaire pour les francophones et ce, dans leur langue maternelle, le français.

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