Heureux qui, comme Aufray…

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Publié 28/03/2006 par Dominique Denis

«Voilà une vieille chanson pour les vieux!», lance Hugues Aufray en boutade dans cet album des plus toniques, comme pour rappeler qu’il a connu ses premiers succès à l’époque où les Beatles faisaient encore les pitres pour les médias d’une Amérique qui n’était pas encore remise de l’assassinat de Kennedy.

En ce sens, Plus LIVE que jamais (Mercury/Universal Special Imports) se veut une vigoureuse affirmation de sa pérennité. Enregistré au Théâtre du Gymnase, à Paris, là où il avait fait ses débuts professionnels, l’album rassemble une généreuse brassée d’incontournables (Céline, L’épervier, Santiago, Hasta Luego, et même Adieu Monsieur le professeur), la plus belle de ses reprises de Dylan (La fille du Nord), après avoir ouvert le bal avec une demi-douzaine de morceaux de Félix, celui-là même qui l’avait inspiré à maîtriser la guitare dans les années 50.

Dynamisé par les orchestrations de Georges Augier de Moussac, Aufray nous rappelle que son répertoire, bien plus qu’une collection de souvenirs jaunis, reflète une convergence de styles et de préoccupations qui, collectivement, font la synthèse des turbulentes années 60 et 70: outre son incursion dans l’univers de Dylan, auquel il avait consacré un légendaire microsillon en 1965, Aufray fut parmi les premiers interprètes francophones à miner la veine du folk anglo-irlandais (Chacun sa mer est une reprise du Dirty Old Town d’Ewan McColl, plus tard repris par les Pogues), tout en mettant le cap sur l’Amérique latine, qui était alors le théâtre de combats politiques et sociaux auxquels, en bon troubadour de gauche, il ne pouvait être indifférent.

Au fait, existe-t-il des troubadours de droite?

Folk, espresso et bêtises

C’est une chose que de commettre des calembours douteux, c’est une autre que de choisir d’en faire le titre de son album: avec Cons méritent (dans le sens de «on a les titres cons qu’on mérite»), Denfer et ses Satanées Valseuses nous laissent une curieuse première impression – ou seconde impression, en fait, puisque ce CD marque le retour du groupe après une absence discographique de près de cinq ans.

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Mais pour être franc, la bourde est dans l’ordre des choses, puisque l’auteur-compositeur originaire de Québec n’a rien d’un champion de la subtilité. Que ce soit sur le plan de la musique ou de l’écriture, Cons mérite (Productions Boîte à beurre/Sélect) déborde d’une énergie brouillonne et souvent mal canalisée, ce qui nous empêche d’apprécier son impressionnante généalogie stylistique: Carnaval trahit l’influence de la Bottine Souriante (dont le groupe a assuré la première partie sur scène), tandis que L’espérance laisse entendre ce que les gars de Villeray auraient pu nous donner s’ils avaient troqué leur tisane à la camomille pour un espresso.

Dommage que par ailleurs, leur recours excessif à l’humour puéril vienne compromettre les plaisirs d’un album qu’on aurait pu déguster comme un cocktail vitaminé, en attendant les premières chaleurs de l’été.

Du folk pour la génération Star Académie

En se présentant sous les traits d’un duo folk, Marabu semble vouloir s’inscrire dans une lignée bien québécoise, quitte à ce qu’on voie en eux les Jim et Bertrand du XXIe siècle, les vilaines tronches en moins. Et le succès initial de la chanson Si pour vivre, qui décline sa révolte sur de douces harmonies («Si on confie la paix aux grands/Les tueurs resteront présidents») avec une intro hispanophone qui plagie carrément Manu Chao, suggère que Jesse Proteau et André Simard ont peut-être trouvé la formule qui fait tilt.

Mais la production et l’enrobage résolument pop de Egosystème (Disques Tox/Dep), que l’on doit à Guy Tourville, l’ancien réalisateur de Roch Voisine, trahit la vraie nature du tandem. Ou, plus exactement, les vraies intentions de ceux qui ont vu en ces belles gueules doublées de jolies voix un filon à exploiter.

Derrière les guitares acoustiques et le propos engagé, ce premier album de Marabu nous fait l’effet d’un boys band qui cible, pour l’essentiel, un public adolescent et féminin. Ce qui n’a rien de répréhensible en soi, surtout si ledit public risque d’y découvrir des chansons qui, l’occasion, essaient d’aller au-delà des platitudes amoureuses qu’on associe au genre. Mais ceux qui chercheraient dans Egosystème des nourritures plus substantielles resteront sur leur faim.

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L’hommage à Léonard

Dans le petit mot de remerciement qui accompagne If It Be Your Will – Songs Of Leonard Cohen (Blue Engine Music/Distribution SRI), Cliff Le Jeune y va d’une phrase qui en dit long: «Every lover who wounded my heart… thanks for the fuel!» On peut dire que l’interprète de souche acadienne n’a pas lésiné sur le carburant, à en juger par ces 15 relectures parfois incendiaires de classiques du barde montréalais.

Contrastant très nettement avec l’émotion sourde des versions d’origine – et même avec la plupart des reprises, soient-elles de Jennifer Warnes, Françoise Hardy ou k.d. lang – If It Be Your Will rend explicites la colère, l’angoisse, mais aussi l’humour sous-jascents à l’écriture de Cohen, souvent par le biais d’une «théâtralité» exacerbée.

Le Jeune se met les paroles de Cohen en bouche avec un plaisir troublant, et nous les recrache dans un flot de bile ou de lave, selon les exigences du moment. Pareille approche est aux antipodes de la réserve cohenienne, et friserait le mauvais goût si elle n’était pas exécutée avec autant de panache et une maîtrise technique quasi irréprochable.

Le sublime dénuement des orchestrations, créées pour le piano de Paul Simons et les cordes du quatuor Blue Engine de Halifax, offre un contrepoids austère à la passion de Le Jeune, et transporte Hallelujah, Famous Blue Raincoat, Everybody Knows et l’inévitable Suzanne au carrefour du lied classique et du numéro de cabaret. Les résultats ne feront pas l’unanimité, mais je suis prêt à parier que Cohen applaudirait la fidélité à l’esprit – sinon toujours à la manière – de ses impérissables refrains.

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