«Harper n’a pas le choix: il faut qu’il tienne ses promesses»

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Publié 21/02/2006 par Marta Dolecki

On en parle encore partout, dans les bars, les restaurants, et à l’heure du déjeuner, entre collègues de travail. Après 12 années de règne libéral, une mini-vague conservatrice s’est abattue sur l’ensemble du Canada pour faire basculer le pays dans le camp des bleus.

À la tête d’une minorité fragile, Stephen Harper, qui sera assermenté lundi prochain, a affirmé son intention de passer rapidement des paroles aux actes en mettant en oeuvre ses principales promesses. Et les attentes sont grandes après l’élection de ce nouveau gouvernement. Il y a également beaucoup d’incertitude, bon nombre de «peut-être», «attendons de voir», «oui, mais» – scénarios hypothétiques doublés d’une certaine inquiétude face à la montée en puissance d’un gouvernement qui a certes fait ses classes dans l’opposition, mais n’a jamais été à la tête du pays.

En Ontario, les représentants des milieux francophones font état de prudence tout en pressant le nouveau premier ministre d’honorer ses engagements. Ils annoncent qu’ils suivront le prochain gouvernement à la trace et espèrent que Stephen Harper pourra continuer le dialogue avec les minorités linguistiques du pays.

Le vice-président du Collège Boréal pour la région du Centre-Sud-Ouest, Wesley Romulus, retient son souffle en affirmant qu’au sein de son institution, tout le monde est en attente, dans une période de wait and see. «Nous avions l’habitude de transiger avec un gouvernement libéral et, ce, depuis la création du Collège, affirme M. Romulus en entrevue. Nous connaissons leur façon de fonctionner, leur philosophie face au bilinguisme, à l’éducation en français, aux francophones hors Québec. Si les conservateurs ont une nouvelle approche, nous allons composer avec cette dernière, mais pour l’instant, nous attendons de voir quelles sont les couleurs qui vont être annoncées.»

Éviter de brusquer les Canadiens

Nerveux ou inquiet, le vice-président du Collège Boréal affirme ne l’être nullement face au changement de gouvernement. «Si M. Harper s’en sortait avec une majorité écrasante, ce serait probablement une autre paire de manches, dit-il. Mais, au sein de ce gouvernement minoritaire, il s’est fait passer des menottes aux mains. Ces dernières sont reliées aux mains d’autres chefs. M. Harper doit composer avec d’autres factions et s’il tire dans une direction trop extrême, les autres partis le feront fléchir», affirme M. Romulus .

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Il estime que le nouveau gouvernement conservateur devrait éviter de brusquer les Canadiens, mais plutôt aller dans le sens du poil s’il veut se maintenir au pouvoir.

La Ville-Reine, exclue du pouvoir à Ottawa

Si certaines provinces ont été prises d’assaut par les bleus, la Ville-Reine est l’un des seuls bastions à avoir résisté au raz-de-marée conservateur. Résultat: elle ne sera pas représentée au sein du nouveau cabinet. Pour les Ontariens, habitués à siéger au pouvoir à Ottawa depuis les années 1990, c’est un grand changement.

Face à cette exclusion du processus de prise de décisions, le directeur exécutif du Centre francophone de Toronto (CFT), Jean-Gilles Pelletier, se veut rassurant. «Il y a plusieurs élus comme Bill Graham, Olivia Chow, Peggy Nash, qui représenteront la Ville de Toronto au sein des partis d’opposition. Les conservateurs ont une minorité fragile. Jusqu’à un certain point, ils vont devoir exploiter les thèmes qui vont permettre de leur faire gagner de la popularité dans les villes», fait valoir M. Pelletier.

Inquiétude et déception réelles chez certains

Si des intervenants comme le directeur du CFT attendent de voir la marchandise pour se prononcer sur la performance du nouveau gouvernement, d’autres se disent carrément inquiets face à l’élection du Stephen Harper à la tête du pays.

Les souvenirs de la campagne électorale de 2004, avec, en tête, les commentaires controversés des candidats conservateurs sur la question de l’avortement, sont restés bien vivants dans les mémoires. La directrice générale d’Oasis Centre des femmes, Tatiana Sekulic, ne cache pas son inquiétude et sa déception face à la victoire encore fraîche des conservateurs.

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«Ce n’est pas le gouvernement qu’on voulait avoir au pouvoir, tout particulièrement en ce qui concerne les enjeux qui touchent les femmes, l’avortement, mais aussi concernant les questions ayant trait à la garde légale», avance Mme Sekulic. Avec la plate-forme de son parti politique, je doute que Stephen Harper puisse faire un bon premier ministre, mais malheureusement, on s’attendait à ces résultats», lance-t-elle, résignée.

Le vote francophone hors des terres libérales

Le président de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA), Jean-Guy Rioux, se réjouit de l’élection au pouvoir d’un gouvernement conservateur minoritaire, une équation qui, selon lui, devrait permettre d’éviter que la balance du pouvoir ne penche trop d’un seul côté.

«Je pense que, pour les francophones, il est heureux que le gouvernement conservateur soit porté au pouvoir de façon minoritaire. Ça nous donne des portes de sortie dans plusieurs dossiers où le parti conservateur ne pourra pas aller trop loin si les partis d’opposition ne le souhaitent pas», justifie M. Rioux.

Ce dernier rappelle les promesses des conservateurs qui, à la veille des élections, ont apposé leur signature au bas d’un document officiel dans lequel ils s’engageaient à faire la promotion de la dualité linguistique au pays.

«M. Harper n’a pas le choix, si ce gouvernement-là veut continuer, il va falloir qu’il tienne la plupart de ses promesses très rapidement parce que la vie d’un gouvernement minoritaire n’est jamais très longue», rappelle Jean-Guy Rioux.

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Les conservateurs ont gagné du terrain à Ottawa

Le changement de tendance dans le vote des électeurs s’est particulièrement fait sentir à Ottawa où les conservateurs ont emporté plusieurs circonscriptions traditionnellement détenues par les libéraux.

«C’est sûr que c’est une surprise», analyse la nouvelle présidente de l’ACFO d’Ottawa, Maxine Hill. «Il y a des comtés qui étaient libéraux pendant plusieurs années et qui sont passés aux mains des conservateurs. Par contre, le vote des francophones suit ici une tendance. Il y avait un sentiment de trahison éprouvé par les électeurs et ils se sont rendus aux urnes pour faire connaître leur voix.»

Mme Hill accueille néanmoins avec satisfaction l’élection de députés conservateurs au niveau régional. «Plusieurs d’entre eux sont francophones, ce qui nous réjouit. On espère compter sur leur appui pour pouvoir augmenter les services en français au niveau fédéral», fait-elle savoir.

Pendant ce temps-là, dans un bar de la Ville-Reine…

La tension était palpable, lundi dernier, dans un bar de la Ville-Reine où une petite poignée de francophones se sont réunis pour suivre en direct les résultats des élections. Entre deux gorgées de bière et un menu «spécial élections», ils pouvaient faire le décompte des comtés remportés par les rouges contre ceux raflés par les bleus.

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Bientôt, entre cris de joie et réactions de colère, la perspective d’un gouvernement conservateur minoritaire s’est affichée sur les écrans de télévision, apparaissant à tout un chacun comme une évidence.

«En tant qu’immigrante, je me sens quand même inquiète par rapport à la victoire des conservateurs», a avancé Anne-Marie Bourgelas, une Française originaire de Martinique et qui vit présentement à Toronto. «La défaite des libéraux va peut-être les secouer et les forcer à réagir pour se rendre compte que tout n’est pas acquis», a-t-elle conclu dans un sourire, ajoutant qu’elle était ici avant tout pour partager cet événement dans sa langue, en compagnie d’autres francophones.

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