Harcelé et détenu pendant deux heures à la douane… parce qu’il voulait être servi en français

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Publié 22/10/2013 par François Bergeron

Un homme de Toronto qui revenait de Boston sur les ailes de Porter, a été harcelé et détenu pendant deux heures à la douane de l’aéroport des îles, le 11 octobre dernier, parce qu’il a demandé à être servi en français.

Ses bagages ont été fouillés et l’agent unilingue, qui a refusé de l’orienter vers sa collègue bilingue, a confisqué son ordinateur portable et son appareil-photo pour «analyse», comme s’ils pouvaient révéler des activités criminelles.

C’est ce qu’a raconté à L’Express la victime de cette épreuve, David Rydygier, 62 ans, qui, ironiquement, est un ancien fonctionnaire fédéral bilingue des douanes et de l’immigration.

Ce qui aurait particulièrement déplu au douanier, c’est que le français n’est pas la langue maternelle de M. Rydygier (né en Angleterre mais établi au Canada dès l’âge de 4 ans). Il le comprend et le parle tout de même assez bien, comme l’a constaté L’Express. «Je saisis toutes les occasions de pratiquer mon français», explique-t-il.

Langues officielles

«Peu importe», confirme Nelson Kalil, du Commissariat aux langues officielles, «tous les Canadiens ont le droit d’être servis dans la langue officielle de leur choix aux comptoirs fédéraux».

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De fait, quand M. Rydygier a porté plainte par téléphone au Commissariat (n’ayant plus d’ordinateur!), il a utilisé l’anglais. «Mais, en effet, j’aurais pu le faire en français; dans ma nervosité, je n’y ai pas pensé», regrette-t-il.

L’enquête et le traitement d’une telle plainte peuvent prendre 90 jours et même plus, selon sa complexité. Elle doit d’abord être jugée recevable.

L’an dernier, selon le rapport du commissaire Graham Fraser, environ 80% des plaintes, 643, ont été jugées recevables et ont fait l’objet d’un suivi, la majorité dans des affaires de relations avec le public comme celle-ci, et près de la moitié dans la région d’Ottawa.

Mauvaise journée

M. Rydygier dit qu’il voyage beaucoup et qu’il a l’habitude des aéroports. Rien de tel ne lui est arrivé dans le passé. Il affirme avoir conservé son calme pendant ces deux heures difficiles («de 15h32 à 17h38») ce vendredi-là à l’aéroport Billy Bishop.

«Le douanier ne comprenait pas ou n’acceptait pas qu’un anglophone demande à être servi en français. Il a été méprisant et colérique, avec moi et avec sa collègue bilingue à qui il avait fait appel comme interprète.»

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Pourquoi ce douanier n’a-t-il pas tout simplement orienté M. Rydygier vers cette agente bilingue? Mystère. «On dirait qu’il voulait faire un exemple ou prouver quelque chose», dit-il, «à moins que c’était déjà une mauvaise journée pour lui… Il était arrogant et abusif aussi envers sa collègue.»

L’Express a pu rejoindre le douanier en question pour tenter d’obtenir sa version des événements, mais il a refusé de commenter l’affaire.

Enquête interne

À la direction des communications de l’Agence des services frontaliers du Canada, on nous confirmé mercredi qu’«une enquête interne a été lancée après que M. David Rydygier ait déposé une plainte», et que «l’enquête se poursuit».

L’ASFC souligne cependant que ses agents «sont autorisés à poser des questions aux voyageurs, à examiner leurs biens et à vérifier leur déclaration» (…) «Tous les voyageurs arrivant au Canada peuvent être renvoyés à un examen secondaire, pour toutes sortes de raisons. Les renvois ne signifient pas nécessairement qu’un voyageur a commis un acte répréhensible. Aucun délai n’est prescrit.»

L’ASFC assure «prendre très au sérieux ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles» et laisse entendre que M. Rydygier a bel et bien été servi en français quand il en a fait la demande, «au cours de l’examen secondaire».

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Superviseur indifférent

Ce fameux 11 octobre, un surintendant a aussi écouté son grief, mais a renvoyé M. Rydygier à son tortionnaire sans intervenir.

«Il n’avait pas l’air sympathique à ma cause», relate le voyageur. «Il m’a écouté, m’a remis mes bagages et m’a dit que je pouvais partir, mais quand le douanier en a décidé autrement par la suite, confisquant à nouveau mon ordi et ma caméra, le surintendant était parti!»

«C’est arbitraire», accuse M. Rydygier. «Je croyais que, depuis la Magna Carta, les citoyens étaient protégés contre les actions arbitraires des autorités. Apparemment, ce n’est pas le cas, puisqu’on refuse de me dire si on me soupçonne de quoi que ce soit.»

Mardi 22 octobre, un chef régional de l’Agence des services frontaliers, qui avait retourné son appel pour la première fois vendredi 18 octobre, a annoncé à David Rydygier qu’il pouvait aller chercher son ordinateur et son appareil-photo, mais sans lui fournir d’explications sur ce qui s’est passé. «Ce sont eux qui devrait venir me les rapporter», commente-t-il.

Ordinateur et appareil-photo rendus

Mercredi 23 octobre, un autre chef régional l’a rappelé pour lui dire qu’on va, en effet, lui livrer son ordi et sa caméra chez lui cette semaine. Dans sa réponse aux questions de L’Express, la direction des communications de l’ASFC a aussi confirmé avoir «terminé l’examen de l’ordinateur et de l’appareil photo, et les rendra à M. Rydygier».

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Selon M. Rydygier, qui a encore demandé les raisons de cette confiscation et de sa détention, ce nouveau superviseur lui a dit qu’il s’agissait d’une fouille aléatoire («random»), comme l’Agence est en droit de le faire, et que dans de tels cas, on cherche généralement de la pornographie infantile ou de la littérature haineuse.

M. Rydygier fait remarquer qu’il avait fourni le mot de passe de son ordi, dès que le douanier le lui avait demandé, pour en examiner le contenu.

Selon l’ASFC, «l’assurance de la sécurité de la frontière ne devrait pas être faussement perçue comme le ciblage de personnes et/ou de groupes précis. Ceux qui constituent un risque pour ce pays parlent toutes les langues, et sont de toutes les couleurs et de toutes les religions; c’est la réalité du monde dans lequel nous vivons.»

«Un certain nombre d’indices fondés sur le risque orientent les agents des services frontaliers dans la prise de leurs décisions concernant le renvoi de personnes pour un examen ou une enquête approfondi. Ces indices comprennent le dossier d’observation, de l’information précise sous forme d’avis de surveillance, ainsi que le comportement du voyageur.»

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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