Haïti : une crise politique et sociale inédite paralyse le pays

Un rapport pessimiste du Bureau des avocats internationaux

Manifestation après l'éclatement du scandale PetroCaribe.
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Publié 13/10/2019 par Valentin Blais

Depuis l’été 2018, Haïti est touché par une crise politique et sociale inédite et profonde, plongeant le pays dans une paralysie presque totale. Sans précédent, le mouvement de contestation l’est aussi bien par sa durée que par son ampleur, touchant une majorité des secteurs sociaux.

Au-delà des facteurs immédiats, comme le scandale PetroCaribe et l’augmentation du coût de la vie, un rapport publié en mai 2019 par le Bureau des avocats internationaux a mis en lumière des causes plus structurelles.

Le scandale PetroCaribe, catalyseur du mouvement

En juillet 2018, une vague de manifestations touche et bloque le pays à la suite d’une forte augmentation (entre 38 et 51%) des coûts du transport, de cuisson et d’autres besoins essentiels.

Partiellement résolues par des mesures conjoncturelles, les contestations ont pris une autre dimension en août 2018 lorsqu’a éclaté un scandale de corruption à grande échelle, éclaboussant un grand nombre de dirigeants politiques au pouvoir et d’anciens hauts responsables.

Des manifestants dans la capitale haïtienne

Le scandale politico-économique révèle qu’environ 3,8 milliards $ provenant du Fonds PetroCaribe (du nom de l’Alliance entre le Vénézuéla et plusieurs pays caribéens, dont Haïti) se sont dilapidés, galvanisant une société haïtienne déjà à cran.

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Les réseaux sociaux stimulent les manifestations, qui ne se sont pas arrêtées depuis.

Selon le Bureau des avocats internationaux, les enquêtes liées à l’affaire ont été ralenties puis rendues impossibles par les institutions, rendant impunis tous les délits commis.

Le président Jovenel Moïse, lui-même cité dans le scandale, «a répondu à la plupart des manifestations par un silence indifférent, refusant de répondre aux préoccupations de l’opposition».

Des valeurs démocratiques bafouées

Le mouvement serait également une réponse aux faiblesses à moyen et long terme de la démocratie haïtienne, entachée par des abus d’autorité et priorités des gouvernements (et notamment celui de Moïse), aux systèmes judiciaires électifs imparfaits et aux politiques économiques nationales et étrangères qui ne bénéficient pas à la majorité de la population.

L’arrivée au pouvoir en 2016 du président Moïse serait d’ailleurs le parfait symbole du problème au cœur du processus démocratique dans le pays.

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En raison d’un cycle électoral prolongé et placé dans un contexte de fraude et de violence généralisées dans le pays, les dernières élections présidentielles n’ont fait déplacer que 20% du corps électoral, soit le plus faible taux de participation de l’histoire d’Haïti.

Un mouvement de contestations sans précédent

N’ayant recueilli que 600 000 voix sur un pays de 10 millions d’habitants, le président Moïse ne possède pas de réelle popularité… ni de légitimité selon une partie importante de la population.

Toujours selon le rapport: pour y pallier, lui et ses représentants ont fait appel à un réseau de favoritisme pour les soutenir, détournant des fonds du trésor et des programmes sociaux pour maintenir ce réseau de supporters. Il est accusé de violations des droits de l’homme à travers des exécutions extra-judiciaires par la police ou des gangs soutenus par le gouvernement.

Les causes de la mobilisation actuelle s’étendent au-delà du gouvernement actuel, à des décennies de politiques intérieures et étrangères en Haïti qui ont entravé la capacité de la majorité appauvrie à participer à la démocratie et à faire respecter ses droits humains fondamentaux.

Pas de solution miracle

Le rapport conclut qu’il faut des changements fondamentaux, mais que ça sera long et laborieux:

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«Aujourd’hui, le mouvement exige un changement fondamental des systèmes politiques et économiques qui se traduisent par une richesse extrême pour quelques-uns, une pauvreté extrême et des conditions de vie désespérées, ainsi qu’un déni des droits fondamentaux comme l’accès à l’école, aux soins de santé et à un logement sûr pour la majorité des Haïtiens.»

Jovenel Moïse, un président contesté

«Les dirigeants et les participants des manifestations réclament avant tout le départ du président Jovenel Moïse. Mais il est clair que la solution doit aller plus loin qu’un changement de direction, pour s’attaquer aux problèmes systémiques et à la violence structurelle. Cependant, il est peu probable que les élections à elles seules entraînent le type de changement du système que les Haïtiens exigent.»

«Tout comme les causes de la crise politique actuelle en Haïti sont profondes et complexes, il n’y a pas de sortie rapide ou facile de la crise actuelle. Pour qu’Haïti parvienne véritablement à la stabilité, il faudra s’attaquer aux profondes carences de la démocratie et de l’état de droit qui ont conduit à l’exclusion de la majorité populaire.»

«La question qui se pose au gouvernement haïtien et à la communauté internationale, qui a toujours joué un rôle démesuré en Haïti, est de savoir si la crise actuelle sera l’occasion d’investir véritablement dans le changement du système. Tant qu’ils ne l’auront pas fait, le chaos risque de s’aggraver. C’est donc une période d’incertitude intense, mais aussi une période d’espoir renouvelé.»

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