Financement politique: le plus important, c’est la transparence

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Publié 05/04/2016 par François Bergeron

Scénario 1 – Le gouvernement provincial approuve la partie ontarienne du projet de pipeline Énergie Est, destiné à transporter le pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan vers le Québec et le Nouveau-Brunswick…

1A – Parce que des représentants du Parti libéral de l’Ontario ont rencontré secrètement les dirigeants de TransCanada, qui ont promis de contribuer généreusement à la caisse du Parti d’ici les prochaines élections?

1B – Parce que la première ministre discute souvent de ces questions avec un vp de TransCanada qui habite dans son quartier et avec qui elle fait parfois son jogging matinal?

1C – Parce que la première ministre a examiné le dossier – également défendu en commission parlementaire par les dirigeants de TransCanada – et conclu que le projet est d’intérêt public et générera des retombées économiques positives?

Scénario 2 – Le gouvernement de l’Ontario rejette le projet de pipeline Énergie Est…

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2A – Parce que l’industrie du camionnage ou celle des chemins de fer a promis des dons plus substantiels au Parti libéral?

2B – Parce que le fils du ministre de l’Énergie est marié avec la fille d’un influent écologiste anti-pétrole qui promet de faire campagne pour les Libéraux si le projet est rejeté?

2C – Parce que le gouvernement a examiné le dossier et conclu que le projet n’est pas d’intérêt public, ayant des retombées environnementales négatives?

Les six scénarios sont plausibles, y compris des scénarios croisés où le pipeline est approuvé ou rejeté malgré des amitiés ou des alliances contraires.

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Nous souhaitons tous que les décisions de nos élus soient prises en fonction de l’intérêt public et non vendues aux enchères. On sait que ce n’est pas toujours le cas: que des permis de construction de pipeline ou de vente d’alcool, des contrats de construction de routes ou d’achat d’avions militaires sont accordés de préférence aux amis du pouvoir.

C’est le cas aussi de sinécures dans la fonction publique, comme l’a montré l’affaire à Sudbury – probablement pas si exceptionnelle – de la promesse d’un poste à un candidat en échange de son désistement.

L’intérêt public coïncide parfois, peut-être même souvent, avec ces permis, contrats, subventions ou nominations. Il le faut, car les partis d’opposition et les médias, de même que les groupes qui se sentent floués, dénonceront les abus les plus flagrants.

Mais les élections coûtent cher, même si une partie des dépenses électorales est remboursée par l’État selon les suffrages obtenus au dernier scrutin. Les partis et les candidats sollicitent constamment les dons de leurs sympathisants et de leurs «clients».

Et certains groupes d’intérêts – fédérations sectorielles d’entreprises, associations professionnelles ou syndicats – utilisent une bonne partie de leurs cotisations à faire de la publicité pour leur cause et inviter plus ou moins directement la population à voter pour le parti le plus susceptible de l’appuyer. Ces dépenses – parfois plus élevées que celles des partis eux-mêmes – relèvent de la liberté d’expression protégée par nos Chartes.

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À la veille d’un souper-bénéfice libéral à 1600 $ le couvert, qui a attiré 1500 personnes la semaine dernière – alors que le Toronto Star affirmait que les grands argentiers du parti au pouvoir s’attendent à ce que les ministres collectent entre 100 000 $ et 500 000 $ par année en dons de leurs «clients» – la première ministre a promis pour ce printemps une réforme du financement des partis politiques.

Kathleen Wynne a demandé l’avis de ses adversaires Patrick Brown et Andrea Horwath sur cette question, puisque les règles du jeu électoral devraient faire l’objet du consensus le plus large.

On s’attend à ce que, comme au fédéral et au Québec, les entreprises et les syndicats n’aient plus le droit de donner de l’argent, des produits ou des services aux partis politiques et aux candidats, et que les dons individuels soient plafonnés. La propagande politique des groupes d’intérêts pourrait également être réglementée.

Le débat sur la corruption de nos démocraties par l’argent a repris de plus belle au Québec depuis l’inculpation pour trafic d’influence, il y a quelques semaines, de l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau et d’une poignée d’agents du Parti libéral sous Jean Charest, dont Marc-Yvan Côté, une «vedette» du scandale des commandites qui avait éclaboussé le mandat de Jean Chrétien.

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Et l’actuel ministre Sam Hamad vient de se retirer, le temps que le commissaire à l’Éthique se prononce sur l’attention qu’il a accordée à la demande de subvention d’une entreprise pour laquelle oeuvre l’omniprésent Marc-Yvan Côté.

Aux États-Unis, la corruption des candidats et des élus par les grandes entreprises est un thème central de la campagne de Bernie Sanders et un argument de vente de Donald Trump. La Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle toute tentative de limiter la liberté d’expression des groupes d’intérêts en limitant leurs dépenses.

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En plus du financement, un très grand nombre de groupes font du lobbying, rencontrent les élus et les hauts fonctionnaires en privé et en public pour discuter de leurs intérêts. Il n’y a rien de sinistre là-dedans. C’est ce que fait notamment l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, qui vante ces temps-ci, par exemple, les mérites de la création d’une université franco-ontarienne.

Les lobbyistes professionnels sont inscrits à un registre, et il est possible de savoir quels élus ils ont rencontrés au cours de l’année.

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Mais nos parlementaires et leurs conseillers ne sont pas isolés. Ils cherchent au contraire à rencontrer le plus grand nombre de citoyens – «ordinaires» ou «notables» – à la fois pour être au courant de leurs besoins et pour faire valoir leur programme. C’est parfaitement légitime, et cet aspect du fonctionnement de nos démocraties ne devrait pas être réglementé à outrance.

Le plus important, c’est la transparence: il est essentiel de toujours savoir qui finance qui, pour voter en toute connaissance de cause.

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À lire aussi dans L’Express: Vers le scrutin préférentiel aux élections municipales

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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