Finalement, il n’y a pas que l’économie…

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Publié 13/10/2015 par François Bergeron

Notre plus longue campagne électorale prend fin ce lundi 19 octobre. Après cinq grands débats des chefs, de multiples rencontres de candidats locaux, un barrage de publicité et bien sûr une couverture médiatique de tous les instants, on est au fait des promesses et des idées de chaque parti, de même que des forces et des faiblesses de chacun des trois aspirants premiers ministres.

Voici, dans un certain ordre (personnalités, économie, sécurité, démocratie), quelques ultimes considérations:

Stephen Harper est ce qu’il est

Plusieurs personnes détestent passionnément les Conservateurs en général et Stephen Harper en particulier. Les autres chefs ne me semblent pas inspirer de tels sentiments, parfois informés, souvent irrationnels.

Curieusement, le pragmatisme, proche de la démagogie, est considéré comme une vertu, alors que les principes et la cohérence sont suspects… sauf quand on est surpris à ramer à contre-courant de l’opinion majoritaire comme Trudeau et Mulcair dans l’affaire du niqab.

Mais ce sont les Conservateurs qui sont plus souvent accusés d’être «idéologiques», comme si les Libéraux et les Néo-Démocrates ne s’inspiraient d’aucune philosophie particulière.

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Justin Trudeau est prêt

Justin Trudeau paraît plus jeune qu’il ne l’est (43 ans) et d’autres chefs de gouvernement avant lui étaient aussi dans la quarantaine avec de jeunes enfants quand ils ont été élus. Il a été enseignant et a voyagé, une expérience non négligeable, certainement renforcée par la proximité de son père, le premier ministre le plus influent de son siècle.

Harper a travaillé dans l’industrie pétrolière avant de devenir économiste. C’est plus sérieux, mais on ne vote pas seulement pour un comptable. Mulcair est avocat de formation. Il a surtout oeuvré dans la fonction publique avant de passer à la politique. Il est donc habitué à louvoyer…

Le plus important est que Trudeau serait bien entouré, le Parti libéral ayant recruté plusieurs candidats solides et pouvant compter sur une équipe élargie de conseillers chevronnés. Il semble prendre plaisir à aller à la rencontre des gens, continuer à apprendre et évoluer. Harper a tendance à s’isoler, avec des conséquences souvent malheureuses.

Thomas Mulcair est centriste

Le chef le plus francophile du NPD est d’abord passé par le lobby anglophone Alliance Québec et les Libéraux provinciaux de Jean Charest, où il professait son admiration pour Margaret Thatcher et dénonçait les garderies étatiques…

Admettons qu’il ait toujours été secrètement plus à gauche, comme il le laisse entendre dans son autobiographie, il a certainement le mérite d’avoir poursuivi le travail de recentrage du NPD commencé par Jack Layton, allant jusqu’à bannir le mot «socialiste» de sa littérature, à promettre des budgets équilibrés, et à garder ses distances du manifeste écolo-communiste de Naomi Klein, David Suzuki et Stephen Lewis. Avec des amis pareils…

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Économie: avantage Harper

Le Canada n’est pas la merveille du G7, comme le laisse entendre Stephen Harper. Les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne créent autant d’emplois que nous. Mais sous les Conservateurs (fouettés à l’époque par l’opposition majoritaire, et en partie grâce à des chantiers d’infrastructures et un endettement keynésien), la crise de 2008-2009 n’a pas frappé aussi fort chez nous.

On colporte ici et là que Harper serait le pire premier ministre du siècle au chapitre de la croissance. Mais c’est le cas, ces dernières années, de tous les chefs de gouvernements occidentaux, toutes tendances confondues. Une croissance faible est désormais la norme partout, à cause du vieillissement de la population et d’autres circonstances.

Plusieurs pays européens peinent à enregistrer une croissance au-dessus de zéro. Quand on se compare, comme le savent parfaitement les immigrants, on fait plus que se consoler, on se félicite.

On a aussi accusé Harper de tout miser sur le pétrole pour se retrouver perdant quand le prix mondial baisse. On n’entend évidemment jamais parler de ça, ni de «diversification» de notre économie (déjà diversifiée), quand les prix de nos ressources sont élevés.

Mais surtout, le gouvernement fédéral ne «gère» pas l’économie, il ne gère que ses finances. Il ne peut que créer un climat favorable à l’entreprenariat, le véritable moteur de la croissance et de l’innovation (des lois claires, un État qui ne prend pas toute la place, des taxes et des impôts bas), et se croiser les doigts.

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Les investissements des Libéraux dans de mythiques «infrastructures», ou ceux du NPD dans des garderies et d’autres programmes sociaux, financés par des hausses d’impôts sur les «millionnaires» ou sur les «grandes entreprises», n’offrent aucune garantie de succès.

Climat et environnement

Quant à leurs projets de taxes sur le carbone et leurs incantations destinées à apaiser les dieux de la météo, on ne peut qu’espérer qu’ils en limitent les effets, car elles ont surtout le potentiel de donner un coup de jarnac à notre économie.

On aurait toutefois apprécié que les Conservateurs expliquent franchement leurs doutes face à l’épouvantail des changements climatiques, et compensent par une vigilance accrue et de vraies initiatives en matière de protection de l’environnement.

Beaucoup de gens intelligents confondent climat et environnement, CO2 et pollution. C’est un manque de leadership de ne pas mieux expliquer comment on peut orienter les politiques publiques là où on a un impact réel.

Sécurité extérieure et intérieure

Libéraux et Néo-Démocrates ont critiqué un certain «désengagement» du Canada des affaires internationales, mais ils veulent sortir nos soldats et nos avions de l’opération internationale contre l’État islamique en Irak et en Syrie (pour former et aider les forces locales, ce que nous faisons déjà aussi). Ça ne tient pas debout.

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On a eu droit, aussi, à une surenchère d’offres d’accueil de réfugiés des guerres du Moyen-Orient et d’Afrique. Le Canada peut toujours agir avec plus de célérité, mais quand on voit ce qui se passe en Europe, on convient que la prudence reste de mise. Le Canada est déjà une terre d’accueil pour plus de 250 000 immigrants par année, ce qui représente jusqu’à maintenant un atout formidable.

L’opposition a toutefois raison de vouloir réviser la nouvelle loi anti-terroriste et l’ensemble des mesures du gouvernement Harper dans le domaine de la lutte à la criminalité: les peines automatiques plus sévères contre-productives, l’acharnement contre le jeune Omar Khadr, l’instrumentalisation de la citoyenneté, la lutte anachronique à des crimes qui n’en sont pas comme le commerce du sexe ou de la drogue. L’agenda sécuritaire intérieur des Conservateurs fait fausse route.

Curieusement, aucun parti ne s’est intéressé à ce qui me semble être le plus grand scandale de notre système judiciaire: sa lenteur. Des causes simples prennent des années à aboutir. Un grand nombre d’intervenants profitent sûrement de cette lourdeur, mais pas les accusés, ni les victimes, ni le grand public témoin de ces crimes ou injustices. C’est un dossier fédéral-provincial qu’on n’a pas évoqué non plus à l’été 2014 lors de la dernière campagne provinciale.

Démocratie: des progrès svp

La centralisation du pouvoir au bureau du premier ministre aux dépens des membres du Parlement, même ceux de son propre parti;

les sénateurs corrompus;

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l’incapacité d’abolir le Sénat, ou de moderniser nos institutions, ou seulement de faire avancer des dossiers économiques ou sociaux, parce que le premier ministre refuse de réunir périodiquement les premiers ministres provinciaux;

la vénération de la monarchie et de symboles d’un autre âge;

les tricheries aux dernières élections;

le refus de modifier notre système électoral archaïque;

un étiolement du bilinguisme officiel:

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c’est là où le bât blesse pour Stephen Harper.

Les Conservateurs croient faire oublier ou, pire, faire accepter ces transgressions, en échange de leur bilan économique honorable. Mais la vie démocratique est aussi importante et mérite qu’on s’en occupe. Justement, notre relative prospérité nous accorde cette latitude.

Un vote pour Justin Trudeau ou Thomas Mulcair est un vote pour des changements attendus dans le fonctionnement du Parlement, les relations fédérales-provinciales, la réforme du système électoral, la promotion du bilinguisme officiel.

Par ailleurs, on a reproché au gouvernement conservateur de ne pas enquêter sur le millier de femmes autochtones tuées ou disparues au cours des dernières décennies. Or, la plupart de ces cas sont résolus et on sait que, comme pour les autres Canadiennes et dans la même proportion, les victimes ont fui une famille ou une communauté qui les harcelait, ou ont été tuées par un proche. Une enquête, ici, deviendrait davantage une nième cérémonie de réconciliation.

On peut et on doit faire beaucoup plus pour les Premières Nations, assurer leur pleine participation aux affaires du pays, améliorer leurs systèmes d’éducation et de santé. Libéraux et Néo-Démocrates semblent bien intentionnés et plus motivés dans ce dossier.

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Malheureusement, l’obstination des Libéraux et des Néo-Démocrates à tolérer le voile du visage dans les cérémonies de citoyenneté et dans la fonction publique en général, au mépris des valeurs canadiennes et au nom d’un multiculturalisme dépassé, risque de discréditer leurs beaux projets. On comprend qu’ils ne corrigeront pas leur tir avant les élections… Peut-on espérer qu’ils le fassent éventuellement?

Une défaite salutaire?

Finalement, la meilleure chose qui pourrait arriver aux Conservateurs serait peut-être de perdre ces élections de 2015.

Un séjour dans l’opposition leur donnerait l’occasion de changer de chef et de moderniser leur approche: mettre l’accent sur l’économie et trouver les mots pour persuader les Canadiens de la justesse de leurs choix; relaxer leur agenda sécuritaire et se distancer des petites droites religieuse, monarchiste, suprémaciste; contribuer de façon constructive aux débats sur les réformes de nos institutions; vivre avec leur temps et diversifier leurs amitiés en tendant la main aux autochtones, francophones, immigrants, femmes, jeunes, gais, etc.

Bref, concilier le coeur et la raison. Il est frustrant d’avoir à choisir entre les deux.

Pour les Canadiens aussi, quelques années d’un gouvernement minoritaire libéral soutenu par le NPD seraient sans doute édifiantes et raviveraient notre appréciation de la contribution qu’un Parti conservateur rénové peut apporter dans nos débats sur les grands enjeux.

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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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