Faut s’parler

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Publié 06/10/2010 par François Bergeron

Dans notre société où une bienséance factice chasse de l’espace public et même semi-public (la table familiale ou le party de bureau) toute conversation honnête sur la politique, les cultures, les religions ou d’autres contentieux, il ne faut pas se surprendre que la liberté d’expression soit de plus en plus malmenée.

Récemment, les députés de la Chambre des communes (à l’unique exception de l’indépendant André Arthur, l’iconoclaste animateur de radio élu dans la région de Québec) ont voté une résolution de blâme à l’endroit du magazine Maclean’s pour avoir titré que le Québec était la province la plus «corrompue» au Canada.

Pire, selon certains, l’hebdomadaire avait osé illustrer cette affirmation (plutôt mal étayée par le reportage et l’analyse qu’on trouvait à l’intérieur) par une image du Bonhomme Carnaval transportant une valise débordante de billets de banque.

Il faut savoir que le Carnaval de Québec défend l’image de son bonhomme comme l’Église celle de Jésus et comme certains anglos celle de la reine.

Il y a quelques années, la maison d’édition Les Intouchables (mal nommée ici) avait capitulé face à une poursuite judiciaire pour avoir illustré un roman policier d’une image du Bonhomme Carnaval portant une arme à feu: les livres avaient été rappelés et la couverture changée.

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Je vote pour André Arthur: le Parlement n’a pas à critiquer formellement le travail des médias. Les politiciens ont certainement le droit à leur opinion et ils ont le droit de l’exprimer (en fait, on se plaint plus souvent qu’ils se taisent), mais pas de voter pour valider une opinion officielle.

Et la poursuite en diffamation du Carnaval de Québec contre Maclean’s est un abus du système. Elle devrait être jugée irrecevable.

Le magazine a tenté de s’expliquer et a publié des commentaires répliquant à son reportage. Son propriétaire Rogers s’est excusé. Sa filiale L’Actualité est aussi montée au créneau. Ça suffit. Continuons plutôt d’enquêter sur les affaires de trafic d’influence et de gaspillage des fonds publics, au Québec et ailleurs.

* * *

À ce sujet, le gouvernement fédéral vient de resserrer ses règles d’éthique en soumettant toutes les communications de lobbyistes avec les politiciens ou les fonctionnaires à la Loi sur le lobbying.

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Auparavant, les représentants (payés) de groupes d’intérêts devaient rapporter au Commissaire au lobbying leurs contacts avec le premier ministre et ses ministres, leur personnel politique immédiat et les hauts fonctionnaires. Cette obligation s’étend désormais à tous les députés, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.

C’est logique. Mais il faut continuer de respecter le droit fondamental des citoyens, individuellement ou regroupés en «lobby», de communiquer avec les élus, et en fait avec n’importe qui. Il faut même encourager nos élus à discuter avec le plus grand nombre de gens, a fortiori avec ceux qui ont des suggestions à leur faire sur la gouvernance du pays.

Que le premier ministre reçoive officiellement un industriel à son bureau, ou croise informellement le dirigeant d’une association professionnelle à une réception, ou qu’il joue au tennis avec le promoteur d’une cause sociale, n’a rien de sinistre.

Ce qui compte, c’est la transparence dans l’attribution des contrats impliquant des fonds publics et, parallèlement, dans le financement des partis politiques, pour qu’on puisse comparer.

Que les dépenses publiques (des centaines de milliards $, plus vulnérables au détournement et à la gabegie que les investissements privés) fassent l’objet de représentations de nombreux groupes d’intérêts, ça fait partie de la game.

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* * *

C’est d’ailleurs précisément le propos de plusieurs témoins entendus ces dernières semaines par la Commission Bastarache qui enquête sur les liens entre le financement du Parti libéral du Québec et la nomination de juges.

«C’est comme ça que ça marche», a dit un avocat et collecteur de fonds du PLQ, non pas pour dénoncer le premier ministre Jean Charest mais au contraire pour exposer la faiblesse de celui par qui le scandale est arrivé: l’ancien ministre de la Justice Marc Bellemare.

Rappelons que ce dernier a affirmé avoir subi des pressions de la part de collecteurs de fonds du PLQ pour nommer au moins trois personnes à des postes de juge, en remerciement pour des dons effectués par des parents ou amis de ces futurs juges.

Selon ces organisateurs du parti, de telles recommandations sont acheminées régulièrement aux ministres et aux proches conseillers du premier ministre, qui les évaluent au mérite et qui restent parfaitement libres d’y donner suite ou non.

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Peut-on imaginer qu’il en soit autrement? Eh bien non: au sein d’un parti politique comme de n’importe quelle organisation, les gens se parlent et vont toujours se parler. Et tout le monde préfère s’entourer d’amis que d’inconnus.

Aux médias et à l’opposition d’évaluer l’action du gouvernement et, ici, la qualité des gens qui sont nommés aux postes importants au sein de l’administration publique.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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