Toula, début soixantaine, a laissé Santoríni, son île natale en mer Égée, par amour pour un compatriote qu’elle a rencontré à Toronto il y a 40 ans. Par goût d’aventure, en juillet 1974, la jeune Toula s’était envolée en visite chez une cousine établie dans la Ville Reine. Coup de foudre et point de non-retour. Au milieu des années 1970, Toula, 22 ans, épouse le bel Azarias avec qui elle aura deux filles.
Depuis leur mariage, Azarias gère un petit commerce de baklavas et confiseries aux amandes sur la rue Danforth – quartier grec de Toronto – tandis que Toula conduit son taxi à travers le centre-ville dont elle connait tous les raccourcis. Parfois elle se demande pourquoi elle a quitté la chaleureuse Santoríni avec ses villages blancs à coupoles bleues perchés au sommet des falaises et leurs panoramas ensoleillés sur les autres îles. La douce vie insulaire lui manque, surtout en plein hiver glacial torontois.
Mais son sort a toujours été de conduire. Avant d’être chauffeuse de taxi, Toula, étudiante en administration, a conduit un autobus de ville d’Athènes pour payer ses études. À l’époque, c’était la meilleure façon de gagner un salaire décent au cœur de la cité antique, opprimée sous le régime des colonels. Le 21 avril 1967 les chars de l’armée grecque ont envahi la capitale, se souvient Toula. Deux colonels, Georges Papadopoulos, Nicolaos Makarezos et le général Stylianos Pattakos, se sont rapidement emparés du pouvoir, imposant en Grèce ce qu’on a communément appelé ‘la dictature des colonels’.
Sous le régime dictatorial (1967-1974), les articles de la Constitution grecque relatifs aux droits de l’homme ont été suspendus et les principaux responsables politiques du pays furent arrêtés. Les trois dictateurs justifièrent leur action par la supposée imminence d’une menace communiste. Le 17 novembre 1973 Toula et ses amis participaient à la journée d’insurrection des étudiants grecs à Athènes contre la dictature militaire. Cette journée est restée le symbole de la lutte pour la liberté en Grèce, selon la fière Toula.
Depuis 1970, des autobus électriques roulaient à travers Athènes sous la gérance d’une entreprise du secteur public. Toula conduisait un de ces nouveaux véhicules 35 heures par semaine. Les transports en commun étaient fréquentés par une population largement désœuvrée en cette période de grande frugalité économique.