Désolé, Tim Hudak a gagné

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Publié 04/06/2014 par François Bergeron

Je n’ai pas beaucoup d’amis ou de voisins conservateurs, encore moins qui ont l’intention de voter pour un candidat du Parti progressiste-conservateur aux élections du 12 juin prochain.

D’abord j’habite dans Toronto-Danforth, un bastion néo-démocrate à tous les niveaux de gouvernement. Il n’y a que des pancartes néo-démocrates et libérales dans mon quartier (moins que d’habitude). C’est sur internet que j’ai trouvé la candidate PC, Naomi Solomon, «entrepreneure et experte légale» qui travaille dans le domaine de la réglementation financière. Apparemment, elle aime la course, le ski, le plein air et «la dynamique scène artistique ontarienne». Sa photo inspire confiance…

Ensuite, c’est une chose d’être conservateur avec un «c» minuscule, c’en est une autre de voter pour le Parti, surtout pour un francophone. Les conservateurs se sont longtemps montrés hostiles au bilinguisme, aux services en français et à la diversité culturelle en général. Les francophones ont massivement investi dans le Parti libéral, qui le leur ont bien rendu.

Au fédéral, le gouvernement conservateur respecte la lettre de la Loi sur les langues officielles, sans plus. Les excès de zèle sont réservés à la promotion de la monarchie, une lubie qui neutraliserait tout effort de promotion des politiques du parti au Québec et (j’espère) chez les francophones hors Québec. Dommage, car les récentes élections québécoises, et avant ça la création du Réseau Liberté Québec, la popularité de Radio X et de plusieurs chroniqueurs de «droite», démontrent que le terreau serait fertile.

En Ontario, Roxane Villeneuve-Robertson, Martin Forget et quelques autres candidats et conseillers francophones de Tim Hudak reconnaissent des «erreurs» passées, comme la tentative de fermer l’hôpital Montfort à Ottawa, et ils affirment avoir «évolué». Depuis quelques semaines, leur site internet est bilingue, bien que les profils des candidats sont encore en anglais seulement, et que je n’ai encore jamais entendu Tim Hudak s’exprimer en français, même en lisant un texte.

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Lors du débat télévisé des chefs, mardi (de 18h30 à 20h, une heure de faible écoute, révélatrice du peu de respect accordé à la politique provinciale ontarienne), la première ministre a été la seule à dire «bonjour» et «merci» en anglais, en français et dans une troisième langue (autochtone?).

Mais ce ne n’est pas suffisant pour gagner. Et, de fait, Kathleen Wynne n’a pas «gagné» le débat des chefs, même si elle a mieux paru qu’Andrea Horwath, qui a confirmé son statut d’amateure dans cette ligue professionnelle. Je suis très heureux de voir le NPD dénoncer les scandales de gaspillage des fonds publics et promettre lui aussi l’équilibre budgétaire, mais ça me fait la même chose que de voir le site bilingue du Parti progressiste-conservateur: c’est un obstacle de moins, un retour à la normale, pas encore un coup de coeur.

C’est Tim Hudak qui a «gagné». Ça me fait de la peine (OK, pas tant que ça) de le dire à mes amis francophones. Mme Wynne croit certainement sincèrement que son programme est le meilleur pour assurer aux Ontariens une prospérité mieux partagée, mais elle n’a convaincu personne que le programme conservateur allait plonger l’Ontario en récession.

Tim Hudak, au contraire, a bien expliqué que les quelque 100 000 postes qui disparaîtraient suite à sa restructuration de la fonction publique ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Ça se fera sur deux mandats (en présumant que les conservateurs majoritaires soient réélus en 2018) et souvent par attrition.

Son «million» d’emplois dans le secteur privé (en réalité 200 000 de plus que les prévisions actuelles sous les libéraux) est étalé sur huit ans lui aussi. Il est parfaitement crédible qu’un gouvernement voué à l’assainissement des finances publiques, aux réductions de taxes et de factures d’électricité, et à un État moins interventionniste attire davantage d’investissements privés.

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Il faut cependant prendre avec un grain de sel l’engagement de Tim Hudak de ne pas se représenter s’il n’atteint pas son objectif d’un million d’emplois: à ce moment-là, il serait déjà premier ministre depuis huit ans!

Le plus important, c’est que le chef conservateur n’a pas caché qu’éliminer le déficit et commencer à rembourser nos dettes passent par des réductions de dépenses. (Réduire la taille du gouvernement en éliminant diverses bureaucraties devient ici autant une fin en soi qu’un moyen d’équilibrer le budget.)

C’est le dernier déficit libéral qui laisse présager des coupes encore plus drastiques, si on veut vraiment équilibrer les comptes publics en 2017. Comme on ne croit pas qu’après une telle campagne, Kathleen Wynne va se résoudre à couper dans les dépenses, on ne croit tout simplement pas à cette promesse d’équilibrer le budget. Cela importe peu aux électeurs libéraux (et néo-démocrates, nonobstant la campagne d’Andrea Horwath), mais c’est de nature à motiver les conservateurs.

On peut être d’accord ou non avec les orientations de Tim Hudak, mais on ne peut pas l’accuser de chercher à se faire élire sous de fausses représentations.

Enfin, dans le segment du débat qui a porté sur l’éducation, Tim Hudak a tout simplement brillé en souhaitant pour sa fille les meilleurs enseignants et la meilleure éducation, affirmant au passage que les besoins spécialisés de certains élèves ne feraient pas les frais de ses réformes.

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M. Hudak a laissé à ses adversaires néo-démocrates et libéraux le soin de se disputer les faveurs des syndicats – des enseignants, mais aussi des pompiers et des policiers – qui achèvent de se discréditer par leurs campagnes anticonservatrices parallèles. Une révision des salaires, des pensions et des privilèges des fonctionnaires? Les Ontariens trancheront le 12 juin.

* * *
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Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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