Des réflexes libertariens à encourager

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Publié 29/09/2010 par François Bergeron

Dans les pays communistes où tout était contrôlé, il fallait demander un permis pour acheter une machine à écrire ou un poste de radio, démarches qui alimentaient des Registres d’appareils (et bien sûr d’individus) potentiellement subversifs. Le gouvernement tenait à savoir qui pouvait s’informer à des sources non officielles et diffuser des opinions non autorisées.

C’est de là, entre autres, que vient l’hostilité des Conservateurs envers le Registre des armes d’épaule qui a survécu, le 22 septembre, à un vote serré au Parlement.

Après tout, les armes à feu peuvent représenter pour les citoyens un (ultime) moyen de se défendre contre un éventuel gouvernement totalitaire. Et qui peut nier qu’au Canada, comme dans le reste du monde occidental, nos libertés de commerce et d’expression s’effritent, malgré la rare apparition, de temps en temps, de dirigeants politiques réellement intéressés à réduire la bureaucratie, la réglementation et les impôts?

C’est de là aussi que vient la maladresse des Conservateurs dans le dossier du recensement détaillé obligatoire (leur version sera facultative, envoyée à un plus grand nombre, mais coûtera plus cher!), vu comme une autre intrusion de l’État dans la vie privée des gens, même si la grande majorité de ces «gens», eux, ont des problèmes plus pressants à régler.

Curieusement, les Conservateurs ne font rien contre une intrusion bien plus fréquente et insolente: les contrôles douaniers au retour d’un voyage à l’extérieur du pays. On comprend les scanneurs à bagages et corporels à l’embarquement, mais pas le maudit interrogatoire sur le nombre de bouteilles de vin ou de gadgets achetés à l’étranger ou encore les sommes d’argent gagnées au casino. Les Conservateurs sont censés appuyer le libre-échange: qu’ils nous débarrassent de ces douaniers!

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Dans le débat sur le Registre des armes à feu, qui dure depuis plusieurs mois et qui pourrait refaire surface dans la prochaine campagne électorale fédérale (cet hiver?), l’inquiétude des résidents des grandes villes (2 Canadiens sur 3), où une arme à feu sert nécessairement à commettre un crime, se heurte à l’agacement des gens des campagnes, où un fusil sert surtout à la chasse ou au tir d’adresse.

On enregistre déjà sa maison auprès de la municipalité (qui nous taxe en fonction de sa valeur présumée) et son automobile auprès de la province ($), pour ne rien dire des permis d’alcool ($$) et autres licences professionnelles ($$$). Au moins ça sert à faire valoir nos titres de propriété et à mieux protéger nos biens en cas de litige, de vol ou d’incendie.

L’État sait donc déjà où on habite, la véhicule qu’on conduit, d’où viennent nos revenus, évidemment si on a commis des infractions dans le passé, et une foule d’autres choses qu’on ne soupçonne pas (le recensement serait-il redondant?). Inscrire ses armes à feu à la police fédérale ne serait donc pas si dramatique.

Mais à quoi sert vraiment le Registre des armes d’épaules? Pas à prévenir le crime organisé: la plupart des armes utilisées par les malfaiteurs sont déjà interdites ou ne seront jamais déclarées.

De la même façon que ce n’est pas l’enregistrement des automobiles qui dissuade les chauffards, l’enregistrement des armes n’empêchera pas les drames conjugaux ou les tueries comme celles de Polytechnique. Un fou peut se saisir d’une arme légale inscrite au Registre.

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Au Canada, les armes de poing et les fusils d’assaut automatiques sont interdits depuis longtemps. Il est également nécessaire d’obtenir un permis d’acquisition avant d’acheter une arme, et le vendeur doit en rapporter la transaction. Si on voulait éliminer complètement les tracasseries, ce rapport du vendeur pourrait facilement devenir l’inscription au Registre.

Les policiers sont favorables au Registre parce qu’il pourrait parfois leur révéler à qui ils ont affaire. Ils le consultent régulièrement, disent-ils. Mais est-ce qu’on veut vraiment que les policiers soient plus nerveux en approchant le type qui a inscrit son fusil de chasse au Registre, que l’autre qui n’a pas déclaré son pistolet?

Administré par la GRC, le Registre a coûté 1 milliard $ à mettre sur pied (au lieu des 2 millions $ initialement prévus: 500 fois plus cher!) et coûte près de 70 millions $ par année à entretenir. Le montant de 4 millions $ colporté par les promoteurs du Registre est en fait l’économie annuelle qu’on compte faire, à la GRC, à mesure qu’on rode le système… «économie» qui serait donc plutôt une «non-augmentation».

L’argument financier en faveur de l’abolition du Registre n’est donc pas si débile, à une époque où nos gouvernements sont déficitaires: toute économie est la bienvenue.

Il est tendant de vouloir réprimer les réflexes libertariens des Conservateurs dans les dossiers du recensement et du Registre des armes d’épaule. Il faut plutôt les encourager, car ces manifestations sont rares et seraient utiles dans d’autres dossiers où les Conservateurs pèsent un peu trop lourdement pour la loi, l’ordre et la morale: prisons, drogue, prostitution, frontières, intervention militaire à l’étranger, etc.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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