Derrière le Rideau de pierre (2): Naplouse, capitale du «terrorisme» palestinien

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Publié 19/02/2008 par Monika Mérinat

Monika Mérinat fait un voyage en Cisjordanie pour voir son fils Barnabé qui vit depuis juin dernier à Naplouse. Les autorités israéliennes ayant refusé de renouveler son visa de séjour, Barnabé est prisonnier de la ville dont les issues sont surveillées jour et nuit par l’armée du pays occupant.

Samedi matin, la ville de Naplouse s’éveille. Le marché est coloré, regorge de fruits et légumes, les bouchers ont une ou deux épaules de moutons dans leurs boutiques. On s’interpelle, on crie, et surtout, on klaxonne. Les Palestiniens sont très accueillants et il est impossible d’échanger deux mots avec quelqu’un sans se faire inviter pour un thé de menthe sucré ou un café 
turque bien serré.

Il n’y a pas si longtemps, Naplouse avait des bars où les hommes et les touristes venaient boire. Depuis la dernière Intifada ou révolte des pierres, les islamistes ont resserré la vis: la grande majorité des femmes se couvrent d’un foulard, souvent très élégant, et les bars ont fermé.

Avec Barnabé, nous grimpons au sommet du mont Gerizim (880m) d’où nous contemplons un superbe paysage vallonné sous une lumière dorée.

Avec Ayash, un guide de West Bank Tours, nous parcourons la vieille ville: un incroyable dédale de ruelles et de passages secrets, de constructions de pierres datant de plus de six siècles, toujours habitées et remplies d’échoppes de fruits, confiseries, fèves et épices, vêtements et chaussures.

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Sous la vieille ville se cache une autre ville encore plus secrète, toute de tunnels et de caves. Ayash nous montre ce qu’il reste d’une petite usine de chaussures que l’armée israélienne a dynamitée… par crainte que la colle à semelles ne soit utilisée à d’autres fins. Il nous raconte l’invasion israélienne terrestre et aérienne de 2002, meurtrière.

Plus de trois mois de violence et d’un couvre-feu emprisonnant les Naplousiens chez eux jour et nuit, de juillet à la mi-octobre. Ce couvre-feu n’a été levé que durant 79 heures pour permettre un approvisionnement alimentaire.

Les habitants portent le souvenir de cette terrible épreuve comme une cicatrice.

Nous découvrons, toujours dans cette vieille ville, un bain turc magnifique où plus personne ne vient, un petit antiquaire qui offre des objets étonnants des époques romaine et ottomane, ainsi que quelques trucs bizarres, genre bric-à-brac contemporain, le tout couvert de poussière.

Il nous montre avec nostalgie des pièces de monnaie, perforées d’un trou, du temps où la Palestine avait sa propre monnaie. Aujourd’hui c’est le NIS, le New Israeli Shequalim, qui est la monnaie courante du territoire.

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Puis Ayash nous invite chez lui, dans le camp de réfugiés de Balata, où il habite depuis 29 ans. Depuis toujours. Approximativement vingt mille personnes vivent ici. Elles s’entassent sur moins de deux kilomètres carrés dans des constructions de béton. C’est l’une des zones de densité humaine les plus élevées au monde.

Les forces israéliennes, Tsahal, y donnent l’assaut périodiquement. Ce samedi, des enfants jouent dans les ruelles, nous criant «Hello! What’s your name?» très fiers des quelques phrases d’anglais qu’ils possèdent. Certains apprennent aussi le français, grâce aux projets de bénévolat canadiens, et du Centre culturel français de Naplouse. Ayash s’arrête à une petite place au centre du camp: c’est la place des martyrs.

Leurs noms sont gravés sur des plaques aux murs. Et cette inscription, en arabe et en anglais: «Never forget, never forgive». Il raconte les événements récents qu’il a personnellement vécus: ce garçon qui avait 16 ans, abattu par l’armée israélienne alors qu’il courait pour rejoindre sa famille et plusieurs autres qui sont morts en missions suicides.

Il nous montre un petit cimetière de tombes blanches: le cimetière des martyrs. Le mur de la bâtisse qui le borde est couvert d’affiches: les héros, les enfants armés, morts pour «la cause». Le soleil descend brusquement, la lumière semble fondre sur le cimetière. Deux petits garçons sont là, nous contemplant de leurs grands yeux sombres.

Rêvent-ils eux aussi d’avoir un jour leur photo au mur que les touristes viendront contempler pendant que le guide racontera leurs exploits? J’ai froid au corps et mal à l’âme.

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Ayash nous emmène chez lui, une construction de béton dans le camp qu’il partage avec ses deux frères, leurs épouses et les enfants, ainsi que sa mère. Les frères se joignent à nous, ils sont bavards, joyeux, bruyants, rigolos. Comme toujours les femmes sont invisibles, seule une petite voix dans la pièce d’à côté signale que le thé est prêt. Un des hommes va chercher le plateau.

Les frères nous font admirer le mur mitoyen de leur maison, tout neuf. Il y a quelques mois l’armée israélienne a fait irruption chez eux. Tsahal fait des incursions presque quotidiennes dans le camp de Balata considéré comme le foyer du terrorisme de la ville.

Les soldats ont donné 10 minutes à la famille pour enlever leurs meubles devant le mur avant de le faire sauter, afin de créer une brèche leur donnant ainsi passage à la demeure voisine. Ils soupçonnaient qu’un résistant s’y cachait. C’est une technique que les forces israéliennes appellent «passer par les murs» et qui permet d’assaillir une habitation sans se faire tirer dessus.

Dans la confusion, les occupants n’ont pu sauver qu’un vieux téléviseur, avant d’être enfermés par les soldats dans une pièce voisine. Le mur a été dynamité. La famille d’Ayash a par la suite essayé d’obtenir une compensation pour les dégâts – ou un nouveau mur – mais en vain. Le froid venant, ils n’ont eu d’autre choix que de faire reconstruire le mur à leurs frais, une dépense de 4 000 $, une somme considérable pour une famille palestinienne.

Le lendemain, deux amis de mon fils, Wafa et Michael, offrent de m’emmener à Bethléem et Ramallah. Barnabé ne peut nous accompagner puisque toute tentative de sortie de Naplouse lui vaudrait d’être appréhendé et arrêté par l’armée israélienne.

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Première étape du voyage: sortir de Naplouse, donc franchir ce fameux poste de contrôle, avec son long couloir de grillage et de barbelés. Nous sommes des centaines, entassés comme des bestiaux derrière le grillage. Il y a deux longues queues de jeunes hommes à gauche, et une masse de femmes, d’enfants et d’hommes plus âgés à droite.

Les Palestiniens ne font pas la queue poliment comme les Torontois. Ils poussent et jouent des coudes. Vu qu’il fait froid, je suis plutôt contente de cette masse de femmes qui m’enserre. Mais en été, quand il fait 35 degrés?

Wafa et moi sommes les deux seules têtes nues – ce dont personne ne semble s’offenser. Quarante-cinq minutes étouffantes, à avancer de centimètre en centimètre, le bout du tunnel est en vue. Un très jeune soldat prend tout son temps pour examiner chacune des cartes d’identité palestiniennes qui lui sont présentées. Les cinq autres soldats regardent d’un œil détaché, font des blagues entre eux, tuent le temps.

Je comprends maintenant pourquoi les Palestiniens ne sont jamais capables de répondre quand on leur demande combien de temps il faut pour aller d’un point à un autre. La réponse est toujours «ça dépend de la situation».

La «situation» est le mot utilisé, jamais le mot «occupation» n’est prononcé, les Palestiniens préférant peut-être la précarité du terme à la pérennité d’une occupation. Les distances sont courtes en Palestine et en Israël, le pays tout petit, mais tout dépend des barrages de contrôle et du désir de l’armée d’occupation de faire avancer ou d’entraver le déplacement des Palestiniens.

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La semaine prochaine: De l’autre côté du poste de contrôle: les colons juifs.

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