Démocratie à l’imparfait

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Publié 13/10/2011 par François Bergeron

Un de mes amis m’appelle le 6 octobre pour aller au cinéma en soirée. «Ce soir, je regarde les élections à la télévision», que je lui réponds. «Élections? Quelles élections? Ah, c’était ça les publicités politiques… Pour qui il faut voter déjà?»

Seulement 49% des Ontariens ayant le droit de vote l’ont exercé le 6 octobre dernier: un record d’abstention depuis qu’on tient ce genre de statistiques pour la province. Aux élections fédérales du 2 mai, 61,4% des citoyens canadiens se sont dérangés; 50,5% aux élections municipales de Toronto le 25 octobre 2010.

Une pleine participation aux élections n’est pas utopique: 93,6% des Québécois ont voté oui ou non lors du second référendum sur la souveraineté en 1995. L’enjeu principal était existentiel: fonder un nouveau pays ou continuer en tant que province canadienne. Apparemment, il n’y avait rien d’aussi excitant cette année en Ontario.

Après chaque scrutin, les analystes se perdent en conjectures sur le faible taux de participation: campagne électorale ennuyante, candidats robotisés, slogans insipides, publicités caricaturales, promesses mensongères, débats de sourds, enjeux importants ignorés, considérations secondaires montées en épingle, insignifiance des élus, impuissance des gouvernements, processus électoral tordu, complicité des médias…

Ce sont là des explications «négatives» – certaines très valables, malheureusement – souvent accompagnées de complaintes sur l’indifférence ou l’apathie des jeunes, plus nombreux que leurs parents et grands-parents à boycotter les urnes.

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Le contraire serait pourtant plus préoccupant: si les citoyens plus âgés, a priori mieux informés, possédant une plus grande expérience de la vraie vie, payant davantage de taxes et d’impôts, se désintéressaient massivement du processus démocratique, c’est là qu’on aurait un gros problème.

Il est plutôt normal, ou à tout le moins compréhensible, que les jeunes – comme les immigrants récents – se jugent moins compétents pour déterminer qui, parmi les candidats et leurs programmes, méritent d’être élus au Parlement du Canada, à l’Assemblée législative de l’Ontario ou à l’Hôtel de Ville.

En ne participant pas à l’élection (cette fois-ci), les abstentionnistes s’en remettent au jugement de ceux qui croient comprendre ce qui se passe. C’est une meilleure décision que de faire une croix au hasard sur le bulletin de vote.

L’autre explication plus «positive» de l’abstention serait une relative satisfaction de la population face à l’administration en place. Une faible participation favorise d’ailleurs plus souvent le statu quo, comme ce fut le cas le 6 octobre avec la réélection, pour un troisième mandat, du gouvernement libéral de Dalton McGuinty.

Après tout, quand on vote pour le «changement», c’est généralement parce qu’on n’est pas content, comme quand on a voté pour Rob Ford à la mairie après la grève des employés municipaux dont les syndicats étaient associés à l’administration sortante.

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Stephen Harper a gagné, lui aussi, le 2 mai, une élection qui était un plébiscite sur sa gestion (très «libérale», comme celle de presque toutes les juridictions du monde occidental) de la crise économique de 2008-2009, en faisant valoir qu’un changement de gouvernement provoquerait davantage d’incertitudes et d’instabilité. Si de nombreux Canadiens partageaient l’indignation de Libéraux de Michael Ignatieff contre certaines entorses à la démocratie, c’était loin d’être prioritaire à leurs yeux.

Les Progressistes-Conservateurs de Tim Hudak ont tenté, sans succès, de provoquer la colère des Ontariens contre la hausse des dépenses publiques et des taxes. Ils ont surtout très mal expliqué en quoi consistait l’alternative, affirmant dépenser encore plus dans le secteur de la santé (50% des dépenses du gouvernement provincial), ayant décidé de conserver la TVH (sauf sur l’électricité et le chauffage) et acceptant le calendrier libéral (douteux) dans lequel le budget ne serait équilibré qu’en 2018.

Or, la majorité des citoyens savent qu’on est tous dans le même bateau. Presque tous les gouvernements du monde occidental – «libéraux» ou «conservateurs» – se sont endettés en 2008-2009 pour sauver des banques et des entreprises (qu’on ne peut plus, dès lors, qualifier de «privées») qui ont fait de très mauvais investissements ou qui ont carrément participé à des manoeuvres frauduleuses… souvent encouragées par ces mêmes gouvernements. La récession provoquée par l’éclatement de cette «bulle» de mauvaises dettes a également alourdi les dépenses sociales des États, tout en réduisant leurs revenus.

Ces juridictions, dont le gouvernement de l’Ontario et celui du Canada, s’étaient déjà inutilement endettées pendant la vingtaine d’années précédentes relativement prospères. Elles tentent désespérément, aujourd’hui, d’éviter ou de repousser la prochaine ronde de faillites bancaires qui résultera du trop lourd endettement de plusieurs gouvernements européens et de celui des États-Unis.

Donc, ça va mal. Mais tout le monde a une responsabilité dans le fiasco et personne ne se démarque en proposant un programme cohérent de réformes. Peut-on blâmer la moitié de l’électorat de se désintéresser de la politique?

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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