De Mahomet à Obama: encore un dessin provocateur

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Publié 22/07/2008 par François Bergeron

Le candidat démocrate Barack Obama affirme avoir vu pire, mais son organisation est furieuse du dessin qui a été choisi par le magazine The New Yorker pour illustrer un reportage sur «les politiques de la peur» en couverture du dernier numéro. Même son adversaire républicain John McCain compatit…

L’illustration satirique de Barry Blitt, qui a fait le tour du monde, habille Barack Obama en musulman dans un bureau ovale de la Maison Blanche où un drapeau américain brûle dans la cheminée et décoré d’une photo d’Oussama Ben Laden. Il salue du poing sa femme Michelle, Panthère noire en tenue de combat, Kalachnikov à l’épaule.

L’article de 18 pages recense et dénonce les efforts d’ennemis du premier candidat noir à la présidence des États-Unis visant à accentuer ses origines «étrangères» (son père kenyan était musulman) et ses idées «radicales» (acquises au contact de son pasteur et de son épouse) afin d’entretenir le doute sur son patriotisme et ses valeurs, voire sur son équilibre mental.

Les lecteurs du New Yorker – et bien d’autres, peut-être la majorité des gens – reconnaîtront immédiatement la caricature pour ce qu’elle est: une satire, non pas de la personnalité de Barack Obama, mais bien des phobies et des machinations de certains de ses détracteurs. Plusieurs de ses partisans calculent toutefois que ce message ne sera pas universellement bien compris et que la diffusion de cette image lui fera du tort.

Ces inquiétudes sont fondées sur la puissance supérieure de l’image sur le texte, de la forme sur le contenu, du médium sur le message, dans nos sociétés modernes. La même analyse sans illustration aurait suscitée peu de réactions; en fait, les Démocrates auraient applaudi. D’ailleurs, d’autres organes d’information, à commencer par le site Internet de Barack Obama, avaient déjà entrepris de répliquer aux attaques sur la culture «réelle» ou l’agenda «secret» du candidat.

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C’est aussi parce que l’image ratisse plus large que la parole ou le texte que les avocats d’Omar Khadr ont diffusé, la semaine dernière, le film de son interrogatoire à Guantanamo par des agents du renseignement canadien. Le jeune Khadr est détenu depuis 2001 et son cas a fait l’objet de nombreux reportages et analyses sans, jusqu’à maintenant, mobiliser l’opinion publique contre la nouvelle justice soviétique post-11 septembre des Américains ou contre la complicité de notre 
gouvernement.

Il y a deux ans, la publication, dans un journal danois, de quelques caricatures irrévérencieuses représentant Mahomet avait enflammé le monde musulman et suscité des appels à la censure à travers le monde occidental.

Les mêmes réflexes liberticides sont déclenchés ici suite à la parution du New Yorker. Les Démocrates appellent les médias à exercer une plus grande «responsabilité» (lire: timidité, conformisme, auto-censure…) tandis que les Républicains, malmenés plus souvent qu’à leur tour par les humoristes, sont trop heureux de pouvoir réclamer plus de retenue et de respect envers la classe politique de la part des médias.

Des animateurs de talk-shows télévisés de fin de soirée se plaignaient d’ailleurs récemment de ne pas avoir grand chose d’amusant à se mettre sous la dent avec Barack Obama. On ne tarit pas de gags sur l’âge avancé de John McCain ou sur l’infantilisme de George W. Bush, sur le sadisme de Dick Cheney ou sur la vie amoureuse de Bill Clinton. Mais on ne sait pas encore comment rire de Barack Obama, cérébral et patient, l’antithèse du militant surexcité, dont la vie privée paraît exemplaire.

Jusqu’à maintenant, ce sont ses adversaires qui commettent les excès les plus ridicules. Le fameux contact poing contre poing, par exemple, est un geste d’affection et d’encouragement que se sont très publiquement manifestés Michelle et Barack Obama sur un podium. Or, certains blogueurs républicains y ont vu un salut «terroriste»!

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Ce serait une erreur, pour les Démocrates, de continuer de critiquer la couverture du New Yorker et de réclamer des excuses du magazine. Ce dernier considère que ses lecteurs sont intelligents, et c’est aussi la marque de commerce de Barack Obama, dont quelques discours se retrouvent déjà au Panthéon de l’art oratoire et des débats d’idées. C’est justement ce qui en fait un politicien atypique et rafraîchissant.

Mark Steyn, chroniqueur controversé au magazine Maclean’s et auteur de l’essai polémique America Alone, poursuivi devant au moins trois commissions des droits de la personne au Canada – nos Guantanamo à nous – recommande simplement aux gens qui s’offensent facilement d’un dessin ou d’un commentaire satirique de «développer une peau plus épaisse», une «carapace» dirions-nous en français.

Dans nos sociétés pluralistes, les occasions pour un caricaturiste, un journaliste ou n’importe quel commentateur de heurter des sensibilités religieuses, culturelles ou politiques ne manquent pas.

Or, nous voulons aussi préserver nos libertés fondamentales, dont un degré élevé de liberté d’expression. Développer une meilleure tolérance de la polémique, voire une certaine indifférence face aux commentaires désobligeants, aux insultes ou à la diffamation, est une réaction plus mature que l’empressement à composer le 911 de la «police de la pensée», nos commissions des droits de la personne, dont on devrait s’affranchir une fois pour toutes.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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