De la corde pour se pendre

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Publié 16/09/2008 par François Bergeron

À la surprise générale, les Verts ont gagné facilement la première manche de la campagne électorale fédérale: le débat sur les débats.

Stephen Harper et Jack Layton (et Gilles Duceppe) ont accepté qu’Elizabeth May participe aux débats des chefs organisés par les principales chaînes de télévision du pays avant le scrutin du 14 octobre. Le Premier ministre, parce que la controverse sur la participation des Verts risquait de détourner l’attention de son message. Le chef du Nouveau Parti Démocratique parce qu’on commençait à s’apercevoir qu’il n’était plus si nouveau et peut-être encore moins démocratique.

On avait permis à Lucien Bouchard, fondateur du Bloc québécois, et à Preston Manning, du Parti réformiste unilingue, de se mesurer aux chefs des partis traditionnels dès leur entrée en scène. De plus en plus de Canadiens étaient mécontents qu’on ne donne pas la même opportunité à la chef d’un parti implanté dans toutes les provinces, même si son score dépasse encore rarement le niveau d’un vote de protestation.

L’idée de Stéphane Dion de ne présenter aucun libéral dans la circonscription d’Elizabeth May (contre le ministre de la Défense, Peter Mackay, en Nouvelle-Écosse) n’avait pas plu à tous les membres de son parti. M. Dion ne s’opposait pas non plus à la présence de Mme May sur le plateau des débats des chefs, alors que ce sont les Libéraux qui ont le plus à perdre de la division du vote «progressiste».

Gaffe d’amateur, avaient grommelé les vieux routiers libéraux: les Conservateurs auront beau jeu de nous prêter les politiques échevelées des Verts ou les déclarations malheureuses de ses candidats néophytes.

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De fait, initialement, les autres partis faisaient valoir que le Parti vert n’étaient qu’un second Parti libéral, pour justifier son exclusion des débats des chefs.

Or, depuis plusieurs années, tout le monde reconnaît que notre système parlementaire d’inspiration britannique, conçu pour une scène politique dominée par deux grands partis, est mal adapté à un pays plus complexe… mais depuis l’échec de Meech, personne ne veut s’aventurer à proposer de nouvelles réformes constitutionnelles.

En offrant à un autre parti une modeste alliance tactique, prélude d’une éventuelle coalition à l’européenne, Stéphane Dion a reconnu que le génie s’est échappé de la bouteille: l’avenir est à la multiplication des causes et des partis politiques, comme il est à la multiplication des moyens de communication, des styles de vie, des nations, etc.

L’alliance n’est pas contre nature: les Verts sont des Libéraux qui s’ignorent ou qui sont préoccupés (obsédés plutôt) par le seul enjeu de l’environnement. Parcimonieux et intéressés à réconcilier l’économie de marché à la protection de l’environnement – souvent parce qu’ils sont eux-mêmes travailleurs indépendants ou petits entrepreneurs – les Verts sont plus proches des Libéraux que les Néo-Démocrates toujours tentés par les démons totalitaires.

Et lors des débats des chefs, les Libéraux ne seront pas les seuls à promouvoir une taxe sur le carbone! Le Bloc québécois et le NPD proposent eux aussi une foule de mesures pour protéger l’environnement et ralentir le réchauffement climatique, mais ils refusent d’appeler un chat un chat, c’est-à-dire une taxe une taxe, pour ne pas prêter flanc aux attaques des Conservateurs.

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Devant un groupe d’universitaires la semaine dernière, Stéphane Dion a expliqué son gambit, sa décision de faire campagne sur un programme écologiste compliqué, en disant qu’on verra si la bonne politique peut mener au bon gouvernement. En clair (car, même si c’était dit en français, il faut traduire…), on verra si un parti (le sien) peut être élu en faisant la promotion de réformes nécessaires, ou s’il faut toujours promettre n’importe quoi aux électeurs pour être élu (ce que font les Conservateurs selon lui).

La présence de Mme May dans le même ring que MM. Duceppe, Layton, Dion et Harper va certainement dynamiser les débats des chefs. On verra alors si les Verts sont sérieux (leur catastrophisme juvénile au sujet des changements climatiques pourrait faire rire), s’ils ont des idées cohérentes sur des dossiers non-environnementaux (leur programme est une courtepointe produite en comité à partir des suggestions des membres), ou si, au contraire, ils érigent cet enjeu en religion censée gouverner tous les aspects de la vie publique (tous les dossiers seraient «environnementaux», une attitude qui laisserait plusieurs électeurs perplexes).

L’entrée des Verts dans le club des partis «traditionnels» aura peut-être aussi l’effet salutaire de restaurer la confiance des Canadiens, notamment des jeunes, envers notre système démocratique et, paradoxalement, de les intéresser aux partis plus généralistes: les Libéraux et les Conservateurs. En invitant Elizabeth May aux débats des chefs, on lui aurait donc donné de la corde pour se pendre.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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