J’ai toujours eu un faible pour les disques de jazz qui nous parlent sur le ton de la confidence, comme le ferait un vieil ami, instaurant d’emblée une intimité qui prédispose à l’écoute attentive et, du coup, à l’écoute intelligente. Et très rares sont les jazzmen capables d’établir un tel rapport avec autant d’aisance que Yannick Rieu, comme en témoigne Saint-Gervais (Justin Time/Fusion III), son huitième album à titre de leader.
Mais on aurait tort d’en conclure que la musique du saxophoniste, né au Québec de parents français, est facile. C’est simplement que Rieu masque ses procédés, nous faisant oublier tout le travail neuronal pour mieux nous en faire partager les fruits.
Ses idées prennent la forme d’un long chant, dont la fluidité et la cohérence laissent fréquemment pantois. C’est sans doute pour cela qu’on a l’impression que cette musique sort de lui comme l’eau sort d’un robinet, une impression tangible dès les premières mesures de I’ll Never Stop Loving You, qui donne le ton à l’album.
Complices aussi discrètes qu’attentives, la contrebasse de Nicolas Rageau et la batterie de Philippe Soirat instaurent d’emblée le chiaroscuro nécessaire, laissant deviner l’intimité feutrée du 7 Lézards, cette petite salle parisienne où eut lieu l’enregistrement en décembre dernier.
À ce stade de son développement, Rieu se trouve, me semble-t-il, au croisement de Stan Getz et Lee Konitz, deux saxophonistes viscéralement incapables de la moindre laideur, et que l’on suivrait sans hésiter dans leur quête d’absolu, devinant les récompenses qui nous attendent à chaque virage.