Daniel Jean sort de l’ombre

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Publié 07/03/2006 par Dominique Denis

L’impératif du titre – Arrête-moi (Disque Double/Sélect) – fait tout de suite penser à Écoute pas ça, de Jean-Pierre Ferland, ou encore au Tue-moi de Dan Bigras, mais c’est dans le vaste répertoire thérapeutique de Lynda Lemay que Claude Jean est allé chercher la chanson-titre de son premier album solo. Pas surprenant, puisque le guitariste, violoniste et chanteur québécois a longtemps évolué aux côtés de Lemay, tantôt comme accompagnateur, puis dans la distribution de Un éternel hiver, cet «opéra folk» qui tiendra l’affiche au Québec dans les mois à venir, après avoir tourné en France.

Mais le CV de Jean ne s’arrête pas là: tour à tour, Laurence Jalbert, Paul Piché, Michel Rivard et Isabelle Boulay ont tiré profit de son exceptionnelle polyvalence. Sur Arrête-moi, donc, on fait connaissance avec l’auteur-compositeur qui attendait sa chance de se faire valoir.

Si les chansons nous semblent déjà familières, c’est moins fonction de leur attrait mélodique que du fait qu’elles s’inscrivent dans une démarche folk, où l’artiste trouve sa propre voix par le biais d’un langage commun, sans chercher l’originalité à tout prix. L’instrumentation, à haute teneur en guitares et libre de bidouillages post-modernes, est conforme aux canons du genre, ce qui convient à un répertoire qui porte son cœur dans la main, sans la moindre trace d’ironie.

En fait, Arrête-moi est un disque engagé, mais qui décline son engagement sur deux tableaux – à 50% sur le plan social et/ou écologique (Marchands de misère, La rivière d’en arrière), et à 50% sur le plan affectif et/ou fraternel (Le chevalier, Si tu savais). Bref, en cultivant son jardin entre colère et espoir, entre amour et amitié, Daniel Jean semble avoir fait des paroles de Jean-Jacques Goldman («Tout mais pas l’indifférence») son modus vivendi.

L’étrange univers d’un renégat du musette

Nulle part autant qu’en France, l’accordéon est-il tenu d’honorer une tradition populaire, populiste – et figée, semble-t-il, dans son folklore de carte postale. Ancien enfant prodige du musette (il écumait déjà le circuit à 10 ans, sous la tutelle de son père), Arnaud Méthivier, dit Nano, a donc dû casser le moule pour trouver sa propre voie.

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D’abord, il s’éclata aux côtés de Kent, Stephan Eicher et même Boy George, mais sous l’accompagnateur inspiré se cachait le compositeur qui, au fil des albums à la distribution confidentielle, se trouvait peu à peu un style et un public.

Avec L’autre côté du vent (Bleu Electric), le style Nano semble en place: des échos d’Ennio Morricone (le compositeur-fétiche de Sergio Leone), un peu de folk désingrangé à la Eicher, un soupçon de mélancolie onirique évoquant Yann Tiersen, le tout enveloppé d’une prise de son dont le flou artistique ferait honneur à Daniel Lanoie.

Mais nulle part dans cet album ne décèle-t-on les traces de virtuosité acquise à l’enfance, comme si l’exécution brouillonne était sa façon de revendiquer sa différence. D’ailleurs, à l’instar de Tiersen et Morricone, Nano aurait intérêt à mettre ses talents de pourvoyeur d’atmosphères au service du cinéma: sa musique, au contenu mélodique assez mince, s’enrichirait de ce complément visuel.

Nano est, nous dit-on, le genre de musicien qui donne le meilleur de lui-même face au public (il a d’ailleurs récemment triomphé à New York, et Montréal l’a adopté à bras ouverts). Mais sur disque, le renégat du musette intrigue plus qu’il ne convainc vraiment.

Le jazz a rendez-vous avec la chanson

Bien longtemps avant ses projets classico-jazz (les gentilles «suites» enregistrées avec Rampal, Zuckerman et Cie), le pianiste Claude Bolling fut parmi les premiers à démontrer, virtuosité à l’appui, que le jazz pouvait fleurir et donner des fruits en sol français. En 1945, alors qu’il n’avait que 15 ans, il remportait son premier «tournoi de jazz» à la Salle Pleyel, lançant du coup une carrière qui n’a guère ralenti depuis.

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Dix ans après ce premier triomphe, avec le contrebassiste Guy Pedersen et le batteur Japy Gauthier, le pianiste gravait Claude Bolling joue Brassens, Vian, Bechet, Bécaud (Frémeaux & Associés/SRI), un microsillon qui rappelait l’affinité naturelle entre jazz et chanson française (ce à quoi Trénet s’était déjà employé d’éloquente façon dès les années 30).

Tour à tour, Brassens (J’ai rendez-vous avec vous), Bécaud (Quand tu danses) et Vian (J’suis snob) reçoivent le traitement Bolling, aux côtés de quelques thèmes empruntés au brillant saxophoniste Sidney Béchet, tandis que le pianiste y va d’une poignée de morceaux de son cru, qui trahissent son penchant pour le boogie woogie. Puisqu’il emprunte au répertoire d’artistes pétris de jazz, soit explicitement (chez Vian) ou implicitement (chez Brassens et Bécaud), on n’est pas surpris que le tout swigne très naturellement, le respect de la mélodie ne s’exprimant pas au détriment d’un sens de l’improvisation qui n’est pas sans rappeler Teddy Wilson et Earl Hines.

Malgré une qualité sonore à faire fuir les audiophiles, on peut remercier l’étiquette Frémeaux & Associés d’avoir réédité ces séances dont il se dégage un plaisir contagieux. On peut d’ailleurs se demander si le batteur Moustache n’avait pas le souvenir de ce disque en tête lorsque, une quinzaine d’années plus tard, il proposerait à Brassens de jazzer son répertoire, avec le succès que l’on sait.

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