Crise et spiritualité

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Publié 26/11/2010 par Nirou Eftekhari

Avec l’entrée massive des religions sur la scène politique mondiale depuis l’attaque terroriste de 2001 et le regain d’intérêt pour les discours et conflits religieux, le 21ième siècle a été qualifié comme celui du retour de la religiosité.

Si l’expérience des pays qui se sont donné des formes de gouvernement théocratique est jusqu’à présent très décevante, le discours religieux ne cesse cependant d’étendre son influence et son audience, un phénomène qui a été amplifié par le sentiment d’impuissance et de désarroi face aux effets de la récession de 2008 que rien ne semble désormais pouvoir endiguer.

Pour ceux qui pensent que la religion est le seul et l’ultime refuge de l’homme, la crise actuelle n’est pas indépendante de l’ensemble de la vision du monde que projette le capitalisme.

Si pendant longtemps les sociétés furent centrées sur les religions qui façonnèrent les rapports sociaux et les formes du pouvoir, il n’en est plus ainsi depuis la fin du Moyen-âge, l’avènement des Lumières, la montée du libéralisme, la séparation de l’État et de la religion, la déclaration universelle des droits de l’homme avec la Révolution française, l’apparition du capitalisme comme principale forme d’organisation économique et sociale, etc.

Le capitalisme, c’est-à-dire la quête du profit, la recherche de la rentabilité et la soif de gain illimité, a imposé sa logique et sa marque à toutes les manifestations de la vie humaine qui lui ont été assujetties. Le discours religieux s’est renouvelé pour mieux servir le capital dans sa volonté d’expansion. Par exemple, c’est la christianisation de l’Afrique, d’abord par des moyens pacifiques, mais très souvent à coup de canons et de violence, qui a permis de frayer le chemin à la colonisation de ce continent et à la main mise de l’Occident sur ses richesses. C’est encore le christianisme qui au 19ième siècle qui, en faisant accepter à la classe ouvrière ses conditions misérables, a conduit Karl Marx à qualifier la religion comme l’opium du peuple.

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Le changement qui s’est opéré dans la finalité des sociétés humaines n’a pas mis fin à l’aliénation de l’homme, définie comme son assujettissement à ses propres créations intellectuelles: si auparavant il était prisonnier de son Dieu qu’il avait créé en lui attribuant toutes les qualités sublimes dont il était lui-même privé, désormais il est esclave du capital. L’homme a renoncé à sa spiritualité de jadis incarnée par Dieu pour idolâtrer la marchandise. Il a échangé sa foi religieuse passée contre l’argent. Il a vendu son âme. Il a trouvé dans l’enrichissement et l’accumulation sa finalité ultime.

Le libéralisme prétend d’avoir libéré l’homme du joug de l’obscurantisme et de l’ignorance en lui conférant des libertés jamais connues auparavant. Oui, mais la liberté sans direction n’est-elle pas pire que la prison ?
Le capitalisme a vaincu et écarté tout ce qui pouvait constituer un obstacle devant son ascension. Il est même venu à bout de la doctrine qui semblait la mieux placée à l’affronter sur son terrain: le marxisme. Le communisme, tout au moins dans sa version historiquement expérimentée a été récupéré par le capital. Aujourd’hui la Chine le pays officiellement dirigé par un parti communiste est celui qui pratique également la version la plus primitive de l’économie de marché.

C’est vrai que le capitalisme a montré une grande souplesse historique, une grande adaptabilité et une formidable capacité à solutionner ses problèmes, y compris par des moyens parfois les plus destructifs, cependant son triomphe ne doit pas escamoter le fait qu’il est aujourd’hui en prise avec des crises multiples qu’il est difficile de croire que l’on peut surmonter avec la poursuite des rapports sociaux et économiques actuels.

Certains parient encore sur la capacité du capitalisme à se réformer et à traverser la période tourmentée actuelle comme il l’a toujours fait. Ils pensent que son problème actuel est lié simplement à la redistribution et qu’il suffit de prendre aux riches pour donner aux pauvres pour que le système retrouve son équilibre.

C’est vrai que l’amélioration des mécanismes de redistribution, par notamment l’intervention de l’État et la création d’un vaste secteur public, a permis au capitalisme de retrouver un nouveau souffle et de prolonger sa survie. Rien ne permet pourtant de conclure que cette solution soit toujours valide et praticable, comme le montrent d’ailleurs les limites de la tentative actuelle de sortir l’économie de la crise à coup de déficits un peu partout dans les pays occidentaux.

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Pour les adeptes de plusieurs religions, cette crise oblige par contre les hommes à revenir en arrière et à reconsidérer les croyances et convictions qu’ils ont rejetées ou abandonnées pour s’adonner aux plaisirs et délices éphémères d’un monde matérialiste qui a atteint ses limites et qui ne peut plus mobiliser les hommes pour une cause noble et spirituelle. La montée des idées fondamentalistes dans les pays arabo-musulmans, par exemple, ne peut s’expliquer autrement que par l’échec des politiques des États-nations d’inspiration occidentale.

Si les religions affirment avec justesse l’impossibilité pour l’humanité de subir indéfiniment les effets de sa soumission aveugle aux valeurs matérialistes, on peut se demander en revanche si la complexité du monde actuel ne dépasse pas, et de loin, la capacité des religions passées à offrir une solution praticable à la crise en cours et à répondre aux aspirations de l’homme aux libertés, à la démocratie, à l’égalité, etc. L’expérience des théocraties s’est soldée jusqu’à présent par la montée en puissance des dictatures religieuses.

Ces constats nous obligent à reconnaître la difficulté sinon l’impossibilité de définir le contenu et les contours des rapports sociaux qui doivent émerger de la crise actuelle dans un avenir qui est également difficile à anticiper. Mais quoi qu’il en soit, ces rapports auront certainement quelque chose d’également spirituel. Cependant, la spiritualité ne veut pas dire nécessairement la soumission de l’homme à un Dieu et aux valeurs occultes qui découlent des systèmes de pensées religieux. D’ailleurs il y a de plus en plus de voix qui se réclament d’une spiritualité non religieuse.

Le regain d’intérêt pour la spiritualité s’explique par la perception qu’aucun des problèmes majeurs de notre époque ne peut être solutionné sur un terrain strictement technique et économique ou par quelques pays individuellement. L’immensité de ces problèmes fait appel à l’ensemble de l’humanité.

Cette nouvelle spiritualité qui en grande partie reste à définir s’appuiera plutôt sur des valeurs humanistes que strictement religieuses en empruntant aux grandes religions passées ce qu’elles ont offert de meilleurs: l’amitié, la compassion, la solidarité, la fraternité, l’entraide, etc.

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