Crédit et liquidités: l’huile sur le feu

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Publié 28/10/2008 par François Bergeron

On nous dit qu’en période de difficultés économiques, nos gouvernements doivent augmenter leurs dépenses (pour «soutenir» ou «relancer» la croissance) et diminuer leurs taxes (pour aider les contribuables coincés), même si cela mène forcément au déficit. Cela signifie-t-il qu’une fois la prospérité revenue, nos gouvernements équilibreront leurs budgets en haussant les taxes et en coupant dans les dépenses? Ce n’est pas comme ça que ça s’est passé chez nous. 

En période de prospérité (les années 90), nos gouvernements ont commencé à rembourser leurs dettes (les déficits encourus dans les années 70 et 80); bravo! Cependant, le débat politique a porté moins sur les taxes, qu’on pouvait maintenir à un niveau tolérable parce qu’elles rapportaient gros grâce à la croissance, que sur les dépenses publiques, sujet beaucoup plus «sexy» pour les politiciens. Ces dépenses étaient-elles moins nécessaires, justement à cause du plein emploi et de la santé de l’économie, ou méritaient-elles au contraire d’être gonflées pour investir toujours davantage dans les infrastructures, la santé, l’éducation, l’environnement, etc.?

C’est évidemment cette dernière option qui a le plus souvent triomphé. L’économie tourne à plein régime, a-t-on fait valoir; c’est quand on fait de l’argent qu’on le dépense; on se serre la ceinture quand ça va mal. Oups! Maintenant que ça va mal, on se dédit: limiter les dépenses devient un crime contre l’humanité! 

Le gouvernement de l’Ontario vient d’annoncer que son exercice 2008-2009 sera déficitaire d’environ 500 millions $, à cause d’un manque à taxer dû au ralentissement de l’économie, qui risque aussi d’entraîner une hausse de l’aide sociale. Le gouvernement McGuinty limitera ou retardera certains investissements en santé (40 % du budget provincial), en éducation (20 %) et ailleurs, mais il envoi un très mauvais signal en abandonnant si rapidement la lutte à l’endettement, alors qu’on mesure encore mal les répercussions de la crise financière américaine… et qu’il s’agit précisément ici d’une crise causée par un endettement insensé. 

Le budget provincial avoisine les 96 milliards $: était-ce si difficile de couper un demi-milliard de plus pour préserver ne serait-ce que l’apparence d’une saine gestion?

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Les déficits, en effet, limitent indûment la marge de manoeuvre des futurs gouvernements. Ils constituent en cela une taxe sur nos enfants, la prochaine génération de travailleurs. On prétend qu’ils seront heureux de payer cette taxe, vu les avantages que leur rapporteront demain les «investissements» qu’elle permet aujourd’hui…

Mais il y a un autre point de vue: si on avait toujours refusé les déficits, tous nos revenus actuels serviraient à la défense de nos services publics. En 2008-2009, par exemple, l’Ontario consacrera 9 milliards $ à payer les intérêts sur sa dette publique de 162 milliards $. 9 milliards $dont on aurait cruellement besoin aujourd’hui. En avait-on réellement besoin il y a vingt ans?

De son côté, le gouvernement fédéral continue de prédire que son exercice 2008-2009, affichant des revenus d’environ 245 milliards $ (dont 33 déjà bloqués en frais d’intérêts), n’ajoutera pas à sa dette de 454 milliards $. Celle-ci, il faut s’en féliciter, est en baisse à la fois en chiffre absolu et par rapport au PIB depuis une douzaine d’années: l’une des situations financières les plus saines du monde occidental.

Il ne fait pas de doute, cependant, que des investissements et des baisses de taxes promis par les Conservateurs au cours de la récente campagne électorale devront être réexaminés, limités, différés ou annulés. Le choc aurait été pire sous les Libéraux ou le NPD, qui proposaient une plus grande expansion du secteur public.

En janvier, le nouveau président américain Barack Obama devra lui aussi réviser à la baisse ses promesses mirobolantes, mais au moins son pays aura déjà fait le geste le plus important en tournant symboliquement le dos à une décennie honteuse et ruineuse de guerres et de corruption.

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Aux États-Unis comme chez nous, on commencera peut-être aussi à comprendre qu’on ne peut pas attendre de miracles de nos gouvernements face à un ralentissement économique (normal après une croissance rapide), une récession (imprévue mais parfois salutaire comme celle des dot-com en 2000) ou une «crise» (provoquée par des interventions imbéciles ou frauduleuses ou les deux comme dans le cas actuel).

Nos gouvernements, dans la foulée de celui des États-Unis, ont largement contribué à créer le crédit quasi-illimité, l’inondation de liquidités, qui a mené à l’endettement périlleux des familles, des entreprises et des gouvernements auquel le système économique mondial vient de réagir et continuera de réagir tant nous continuerons de jeter de l’huile sur le feu en facilitant encore davantage le crédit et l’endettement – la «solution» préconisée ces temps-ci par la plupart de nos dirigeants.

À la base du château de cartes financier, on retrouve les «Fannie Mae», «Freddy Mac» et autres Société canadienne d’hypothèques et de logement qui ont «démocratisé» le crédit immobilier. Les banques centrales, à commencer par la Fed des États-Unis, ont aggravé la situation ces dernières années en réduisant presque à zéro leurs taux d’intérêts (ceux qu’elles réclament aux institutions privées) pour entretenir la surproduction et la surconsommation… et un complexe militaro-industriel constamment à la recherche de 
débouchés, c’est-à-dire de guerres.

Ces facilités de crédit, doublées d’une propension des gouvernements à voler au secours des secteurs en difficultés, ont éliminé le risque, encouragé la spéculation et signalé au reste de l’économie que l’argent n’a plus besoin de reposer sur un travail et un commerce réels. Les courtiers en valeurs mobilières, récompensés surtout pour les gains à court terme, ont fait le reste.

Il faut maintenant restaurer la discipline du marché libre, resserrer le crédit plutôt que le relaxer, limiter les dépenses publiques pour ne pas s’endetter davantage.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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