Certains leaders religieux demandent une accréditation des imams

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Publié 13/06/2006 par Marta Dolecki

À Toronto, les représentants de la communauté musulmane se distancient de toute idéologie extrême ayant conduit à l’arrestation de 17 présumés terroristes le 2 juin en banlieue de Toronto.

Cependant, chacun à leur manière, ils tentent de proposer des solutions destinées à améliorer le bien-être et la sécurité dans leurs communautés. L’une d’elles consisterait à implémenter un programme d’accréditation des imams, afin d’éviter que des propos haineux ne viennent noircir tout discours.

Une mosquée de Rexdale, endroit ordinairement bien paisible, s’est retrouvée soudainement sous les feux des projecteurs lorsqu’elle a fait les frais d’un acte de vandalisme les jours qui ont suivi l’arrestation des présumés terroristes. Bilan de l’opération: une trentaine de vitres cassées et 15 000 $ de frais de réparation. Depuis l’incident, l’imam de la mosquée abritant l’Organisation internationale des musulmans de Toronto, Hamid Slimi, est un homme occupé. La semaine dernière, il a dû aligner pas moins de 85 entrevues, toutes avec différents organes de presse.

Hamid Slimi, répond à chacun avec son franc-parler et n’a pas peur d’appeler un chat un chat. Il estime qu’il faut aborder les questions, même dérangeantes, en face et avec pragmatisme si cela peut conduire à améliorer la situation. «Je dis toujours qu’il faut voir la réalité en face. S’il y a de l’extrémisme alors, oui, il faut chercher des solutions pour le combattre», d’affirmer l’imam.

Le problème, continue-t-il, c’est qu’en l’état actuel des choses, n’importe quel docteur, ingénieur ou autre personne, peut se proclamer imam. Cependant, ces mêmes personnes ont-elles reçu une éducation appropriée? Présentement, ce n’est pas absolument pas contrôlé, remarque-t-il.

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«Je pense qu’à l’instar de tout docteur spécialisé dans une discipline particulière, les gens qui enseignent la religion doivent être des experts à leur façon. Moi, j’ai été éduqué dans une école arabe et française. Je lis parfaitement le français et l’arabe. Il faut avoir un minimum d’éducation traditionnelle pour être capable de guider les autres», fait valoir l’imam.

Hamid Slimi se dit troublé par l’extrême simplisme de certains discours auxquels il a assisté. Il déclare avoir vu des imams qui soutenaient, par exemple, que le fait d’avoir acquis la nationalité du pays d’accueil venait constituer une trahison par rapport à la religion musulmane.

«L’Islam est parfois utilisé de façon très vague et relâchée», remarque l’imam. Ce dernier ajoute que de tels propos sont dangereux, notamment parce que les personnes qui se trouvent dans l’assemblée peuvent les interpréter au premier degré. Elles seront d’autant plus portées à croire des paroles sortant de la bouche d’une personne qui leur sert de guide spirituel.

De même, Hamid Slimi soutient que les problèmes relatifs à toutes les questions de jurisprudence islamique (fatwas) devraient être administrés en bonne et due forme. «Les gens doivent savoir que ce n’est pas n’importe quelle personne qui peut donner des fatwas. On ne peut pas importer des fatwas d’Arabie Saoudite. On est musulmans, mais on vit au Canada. Il y a tout un contexte qui est différent», souligne-t-il.

Hamid Slimi prononçait ces paroles à la suite d’une conférence de presse qui, vendredi dernier, a réuni à la mosquée de Rexdale six jeunes musulmans venus d’horizons différents, tous membres du mouvement Jeunes musulmans du Canada.

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Ces derniers ont demandé au public ne pas ne pas tirer de conclusions trop hâtives, rappelant que les 17 suspects étaient présumés innocents jusqu’à preuve du contraire.

Pour Yaseen Poonah, membre des Jeunes musulmans du Canada et diplômé de l’université York, il n’y a pas eu un, mais bien deux 11 septembre. Celui, dévastateur, qui a vu les tours jumelles s’effondrer à New York, et un second, plus proche du cœur, ici, à Toronto.

Yaseen Poonah a 27 ans. Il s’exprime dans un français clair et précis, même s’il lui arrive de s’excuser quand il vacille sur certains mots. Son père et originaire de l’Ile Maurice et Yaseen a vécu en France pendant deux ans. Cependant, c’est véritablement à Toronto qu’il a ses racines, aussi est-il encore sous le choc par rapport à ce qui s’est passé.

Le jeune homme a grandi à Mississauga. Il lui est arrivé de se rendre, par deux fois, à la mosquée Al-Rahman que fréquentaient six des 17 accusés. Le jeune homme ne les a jamais rencontrés.

Lors de la conférence de presse, il a affirmé que tous les efforts qui avaient été déployés par les jeunes musulmans pour bâtir des ponts avec les autres communautés venaient à nouveau de s’effondrer. Maintenant, dit-il, tout le travail est à recommencer.

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«C’est néanmoins important d’entretenir un dialogue ouvert pour comprendre ce qui a pu déclencher ce phénomène, avance le jeune homme en entrevue. Parfois, le manque de connaissances peut mener à des représailles et engendrer une image fausse de l’Islam.»

Les membres du panel ont également exprimé leur défiance à l’égard de la couverture médiatique dont les suspects arrêtés avaient fait l’objet. La conférence a pris un tournant inattendu lorsque l’imam Munir El-Kassem a reproché à deux caméraman présents dans la salle de renforcer les stéréotypes en filmant toujours les mêmes images de femmes voilées.

Pour sa part, le premier ministre Stephen Harper qui rencontrait les représentants de la communauté musulmane en fin de semaine à Toronto, a fait lui aussi l’objet de critiques. «Quand on voit Stephen Harper utiliser les mêmes arguments que George Bush en disant que ces gens [les accusés] s’attaquent à nos valeurs, notre liberté, c’est effrayant. Ces gens-là, ce sont des Canadiens. Ils sont nés ici», s’exclame Mohamed Boudjenane, directeur général de la Fédération canado-arabe à Toronto.

M. Boudjenane appelle lui aussi à la prudence afin d’éviter de condamner trop vite des personnes qui ne sont à ce stade que des suspects.

«On a vu par le passé des gens qui avaient été identifiés ou décrits comme terroristes et qui se sont trouvés être totalement innocents, rappelle-t-il. Il suffit de penser au cas de Maher Arar. La communauté arabe et musulmane est une communauté qui vit au Canada de façon pacifique depuis des années. Si ces gens sont coupables, s’ils veulent faire réellement ce qu’on prétend qu’ils veulent faire, alors ce ne sont pas des musulmans. Je me distancie totalement de ce genre d’individus. Cependant il ne faut pas mélanger ici encore cause politique et cause religieuse», conclut-il.

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«L’ordre du jour est politique»

Au Collège Glendon de l’Université York, Stanislav Kirschbaum est professeur de recherche, spécialisé en politique étrangère et de défense du Canada. Il tente d’expliquer les raisons qui auraient pu mener les présumés terroristes, de jeunes Canadiens pour la plupart, vers de tels actes.

L’Express: Quels sont les facteurs qui selon vous, auraient pu radicaliser ces jeunes?

Stanislav Kirschbaum: La jeunesse est toujours à la recherche de quelque chose. Des jeunes qui voient ce qui se passe dans le monde, qui ne sont pas d’accord avec la politique des États-Unis en Irak ou avec toute la question des Palestiniens au Moyen-Orient, ressentent une certaine affinité avec ceux qu’ils considèrent comme étant persécutés.

Pourquoi des Canadiens au Canada, des musulmans? Je n’arrive pas à vous donner une réponse satisfaisante. Pour moi, ce n’est pas le fait d’être Britannique, Canadien, Français ou Américain, mais plutôt de faire partie de cette communauté qu’ils voient comme étant persécutée et qu’ils cherchent à protéger parce qu’ils se sentent solidaires avec elle.

L’Express: On a toujours eu cette image du Canada comme pays pacifique où les gens se sentaient plutôt à l’abri… jusqu’à aujourd’hui. Ce discours radical est-il le fruit d’une nouvelle donne devenue un phénomène global qui transcenderait les frontières des pays?

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S. K. : Le groupe visé ici se compose en majorité de jeunes. On les radicalise à tel point qu’on les incite à poser des gestes suicidaires tout en causant des dégâts autour d’eux. Dans le cas de figure canadien, on a vu qu’ils voulaient faire sauter la Tour de la Paix, la Tour CN ainsi que les quartiers généraux des services de renseignement. C’est peut-être ça la nouvelle donne. On voit aussi l’apparition d’un terrorisme à grande échelle. On fait la guerre à une société ou à un groupe quelconque et l’on met en œuvre tous les moyens nécessaires pour y arriver.

L’Express: Des membres de la communauté musulmane reprochent à certains médias de faire la confusion entre l’Islam et les gestes posés par les présumés terroristes.

S.K: Ce n’est pas l’Islam qui est ici en cause, mais un langage qui se rattache à l’Islam et qui est proposé pour des fins autres, des fins politiques certes, mais qui sont rattachées à plusieurs éléments.

Il y a par exemple le désir de voir les Américains quitter l’Irak, la volonté de trouver une solution à la question palestinienne, le désir aussi, de donner la chance aux populations musulmanes pour qu’elles puissent connaître un niveau de modernisation qui, jusqu’à maintenant, semble leur avoir échappé.

Oui, l’ordre du jour est tout à fait politique et derrière cela se cache un langage rattaché à l’Islam, parce que c’est cela qui permet de trouver les adeptes, de convaincre de se donner à la cause.

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À l’intérieur de ce conflit politique, on fait appel a certaines croyances, certaines religions, en vue de permettre une radicalisation du conflit. Dans ce contexte, le langage de la religion islamique, qui fait partie de la cause, permet de pousser ces jeunes vers ce sacrifice.

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