Aznavour, infatigable et indémodable

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Publié 13/03/2007 par Dominique Denis

«Adieu à son public, c’est comme adieu aux armes
Dernière apparition qui provoque des larmes
Avec la gorge sèche et le regard humide
Un regard d’amoureux sur une scène vide
C’est seul et déchiré qu’un jour j’abdiquerai.»

Eh bien, si Charles Aznavour a l’intention d’abdiquer, de tourner définitivement le dos à ce métier qui le travaille depuis près de 70 ans, il n’en montre aucun signe sur Colore ma vie (EMI).

Tandis que son âge lui donnerait amplement le droit de se taire, de radoter ou de jouer la carte de la nostalgie pour un public qui continuerait de remplir les plus grandes salles de Paris, Toronto ou Buenos Aires, il garde l’œil et l’esprit ouverts, se faisant un devoir, comme homme et comme artiste, d’élargir ses horizons en abordant des sujets jusque-là inexplorés dans son œuvre.

Enregistré à la Havane, Colore ma vie aurait pu fournir à Aznavour l’occasion de jouer les crooners latins, comme tant d’autres l’ont fait avant lui. Mais cet album réalisé par le grand Chucho Valdez n’est rien, sinon profondément aznavourien, c’est-à-dire désireux de ratisser très large. Sur le plan musical, cela se traduit par une succession de décors – samba, fado, jazz et même mariachi – qui collent bien à son personnage, tout en ayant le mérite de ne pas se limiter aux idiomes cubains.

Pour ce qui est des thèmes ici abordés, hormis les adieux à la scène (et à la vie!) qui font l’objet de J’abdiquerai, Charles brosse le tableau d’une enfance maghrébine d’avant l’intégrisme (T’en souvient-il?), dénonce la ghettoïsation à la française (Moi, je vis en banlieue), rend un ultime hommage à sa terre ancestrale (Tendre Arménie) et sonne vigoureusement l’alarme écologique (La Terre meurt).

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Et à tous les registres, Aznavour chante avec une autorité – tant vocale que morale – qui défie son âge, laissant croire que s’il a fait ses adieux à la vie épuisante des tournées, notre homme est loin d’avoir dit son dernier mot.

Le regard de Renan

Même si elle est le fruit d’un heureux mariage entre les mots et les notes, la chanson est d’abord et avant tout fonction du regard.

Prenez Renan Luce, par exemple. Là où la plupart d’entre nous ne verrions que la banalité d’instants quotidiens qui ne sont guère dignes d’être chantés, l’auteur-compositeur français de 26 ans a trouvé passions et drames, fantaisie et humour.

La douzaine de vignettes qui composent Repenti (Universal), son premier album, nous font entrer dans la vie d’un fossoyeur narcoleptique, relatent l’histoire d’amour entre une marchande de bibelots quétaines et un de ses clients, dépeignent les vieux jours d’un mafioso planqué dans la banlieue de Dijon, osant même une touchante réflexion sur la vie, l’amour et la mort, du point de vue de la feuille de papier qui attend les mots d’un malheureux. Ne serait-ce qu’en oxygénant ce genre fatigué qu’est la chanson d’amour, le bougre nous a déjà rendu un grand service.

Si vous pensez que l’univers de Renan Luce se rapproche de celui de Thomas Fersen, vous n’avez pas tout à fait tort, mais il est de ces artistes qui sont trop doués pour se cantonner indéfiniment à l’émulation ou aux exercices de style. D’une drôlerie intelligente et d’une touchante vulnérabilité, Repenti annonce une œuvre qui, parions-le, n’a pas fini de nous surprendre et de nous séduire.

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L’amorce d’un cycle?

On se garde bien de l’annoncer du côté de Tafelmusik, mais tout pousse à croire que l’orchestre baroque torontois s’est engagé sur la voie d’une intégrale des symphonies de Beethoven. Après avoir rendu aux 5e et 6e leurs dimensions proprement révolutionnaires (du fait qu’elles poussaient les instruments et les effectifs du baroque au-delà de leurs limites), Tafelmusik et le chef Bruno Weil s’apprêtent à nous faire redécouvrir les 7e et 8e symphonies, d’abord sur la scène du centre Trinity St-Paul, puis, souhaitons-le, sur disque. Ces concerts-là étant assurés d’afficher complet, il était de mon devoir vous en parler tout de suite.

Tafelmusik: 7e et 8e symphonies de Beethoven au Centre Trinity St. Paul (427, rue Bloor Ouest, métro Spadina) du 27 au 30 mars. Billets: 416-964-6337.

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