«Adieu à son public, c’est comme adieu aux armes
Dernière apparition qui provoque des larmes
Avec la gorge sèche et le regard humide
Un regard d’amoureux sur une scène vide
C’est seul et déchiré qu’un jour j’abdiquerai.»
Eh bien, si Charles Aznavour a l’intention d’abdiquer, de tourner définitivement le dos à ce métier qui le travaille depuis près de 70 ans, il n’en montre aucun signe sur Colore ma vie (EMI).
Tandis que son âge lui donnerait amplement le droit de se taire, de radoter ou de jouer la carte de la nostalgie pour un public qui continuerait de remplir les plus grandes salles de Paris, Toronto ou Buenos Aires, il garde l’œil et l’esprit ouverts, se faisant un devoir, comme homme et comme artiste, d’élargir ses horizons en abordant des sujets jusque-là inexplorés dans son œuvre.
Enregistré à la Havane, Colore ma vie aurait pu fournir à Aznavour l’occasion de jouer les crooners latins, comme tant d’autres l’ont fait avant lui. Mais cet album réalisé par le grand Chucho Valdez n’est rien, sinon profondément aznavourien, c’est-à-dire désireux de ratisser très large. Sur le plan musical, cela se traduit par une succession de décors – samba, fado, jazz et même mariachi – qui collent bien à son personnage, tout en ayant le mérite de ne pas se limiter aux idiomes cubains.
Pour ce qui est des thèmes ici abordés, hormis les adieux à la scène (et à la vie!) qui font l’objet de J’abdiquerai, Charles brosse le tableau d’une enfance maghrébine d’avant l’intégrisme (T’en souvient-il?), dénonce la ghettoïsation à la française (Moi, je vis en banlieue), rend un ultime hommage à sa terre ancestrale (Tendre Arménie) et sonne vigoureusement l’alarme écologique (La Terre meurt).