Afghanistan: mourir dans une guerre interminable

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 30/09/2008 par Nirou Eftekhari

À la suite de l’entente conclue entre les partis libéral et conservateur au mois de mars de retirer les troupes canadiennes de l’Afghanistan à la fin de 2011, le débat sur l’engagement militaire du Canada dans ce pays ne figure pas parmi les enjeux des élections fédérales du 14 octobre. Mais on ne peut pas éviter de se poser cette question: si il serait irresponsable et immoral pour le Canada de retirer ses soldats immédiatement, comme le réclame une majorité des Canadiens selon les sondages, pourquoi un tel retrait serait-il justifié en 2011?

À en juger par la multiplication des attaques et attentats perpétrés par les insurgés contre les forces de l’OTAN au cours de ces derniers mois, la perspective d’établir la paix, la sécurité et la démocratie en Afghanistan ne fait que reculer au fur et à mesure que ce pays s’enfonce dans une situation de plus en plus chaotique.

Pourquoi donc risquer davantage la vie des soldats canadiens dans une guerre interminable qui leur a déjà coûté une centaine de victimes?

Dans la foulée des événements qui ont suivi l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, l’invasion de l’Afghanistan par une coalition des forces dirigées par les troupes américaines a effectivement permis de déloger les Talibans. Mais ces derniers ont depuis été capables de se regrouper, d’étendre leur contrôle au sud et à l’est du pays. La porosité de la frontière avec le Pakistan leur permet de s’y réfugier ou de s’y approvisionner et de privilégier une tactique de guerre sous forme de guérilla, avec un fort penchant pour des attaques kamikazes d’une efficacité parfois surprenante, comme lors de l’évasion massive d’un millier de prisonniers à la prison de Kandahar en juin dernier.

Aucun des objectifs que s’était fixés Georges W. Bush quand il a décidé d’envahir l’Afghanistan en octobre 2001 n’a été atteint à ce jour. En particulier, Mullah Omar, le leader des Talibans, et Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda, n’ont pas été arrêtés ou tués.

Publicité

L’administration du président Hamid Karzai, qui doit son pouvoir à l’alliance avec des seigneurs de guerre tribaux dans les différentes régions – eux-mêmes soutenus militairement par l’OTAN – et à l’aide financière internationale massive, notamment des ONG, a montré une grande incapacité à assurer la paix et la sécurité quotidienne des Afghans. Dans la réalité, son pouvoir se limite aux périmètres de Kaboul et il est de ce fait considéré par ironie comme plutôt le maire de cette ville.

Son administration est souvent impliquée dans des affaires de corruption qui en dit long sur le détournement des sommes considérables offertes par les donateurs. Celles-ci arrivent rarement à leurs destinataires et servent plutôt à enrichir ses intermédiaires locaux et régionaux.

Sur le front économique, s’il est vrai qu’au cours de ces dernières années, la production agricole non liée à l’opium a presque doublé en Afghanistan, aucune culture de rechange n’est, de l’aveu des experts, susceptible d’engendrer des revenus comparables à ceux du pavot. On estime que 90% du pavot servant à la production de l’opium dans le monde est cultivé en Afghanistan.

Pour une population formée à 80% de paysans et d’éleveurs, la culture du pavot est devenue vitale. «Dans la crise alimentaire rurale, le pavot devient la seule option permettant aux plus pauvres d’acheter du blé», selon la Revue Commentaire, # 122, été 2008. Si du temps où les Talibans étaient au pouvoir, la culture du pavot était bannie, aujourd’hui c’est elle qui finance l’essentiel de leur effort d’insurrection.

À la brutalité des méthodes de guerre des insurgés et à l’intensification des combats, l’OTAN riposte souvent par des raids aériens conduits parfois de façon inconsidérée produisant un grand nombre de victimes civiles. C’est ainsi qu’au mois de juillet, deux frappes aériennes ont tué 64 civils, pour la plupart des femmes et des enfants venus assister à un mariage.

Publicité

Il est évident que ces bombardements, conduits en toute impunité, ne font qu’aggraver le ressentiment de la population qui considère de plus en plus la présence militaire étrangère comme une occupation.

Par ailleurs, ces bombardements ont ciblé des zones frontalières situées au Pakistan et soupçonnées d’arbitrer des insurgés, provoquant ainsi la colère et la radicalisation des mouvements jihadistes dans ce pays dont le gouvernement est pourtant considéré comme allié des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme. L’extension des conflits de l’Afghanistan au pays voisin risque donc de produire une nouvelle source d’instabilité et de tension pleine de conséquences pour cette région.

Au total et bien qu’il soit difficile d’admettre un tel constat, notamment pour ceux qui ont perdu un ami ou un parent dans cette guerre, l’intervention militaire en Afghanistan ne semble pas avoir permis de vaincre les Talibans. Leur résistance et leur offensive sont devenues préoccupantes, tant pour l’avenir de ce pays qui s’enlise chaque jour un peu plus dans la guerre civile, l’anarchie et l’insécurité, qu’en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme international.

Si l’option militaire, à elle seule, ne permet pas de venir à bout des Talibans, quels que soient les renforts militaires envisagés par le président sortant George W. Bush ou promis par le candidat démocrate Barack Obama, il faudrait peut-être envisager d’autres alternatives, notamment des négociations directes avec les insurgés qui ne sont pas tous des terroristes inféodés à Ben Laden. Bon nombre d’entre eux agissent par nationalisme ou par conviction religieuse. Ce serait une grave erreur de les mettre tous dans le même sac.

Les offres de négociation de Hamid Karzai ont été rejetées par les Talibans qui, comme condition préalable, revendiquent le départ des troupes étrangères stationnées sur le sol afghan. Par ailleurs, la pacification de la vie politique en Afghanistan est impossible sans une concertation régionale avec notamment le Pakistan et l’Inde.

Publicité

Le pire scénario est d’ignorer le blocage de la situation actuelle et de poursuivre, à court ou à long terme, comme dans un mouvement de fuite en avant, une politique qui jusqu’à présent a produit un grand nombre de morts, de blessés et de destructions.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur