À quoi servent nos élus?

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Publié 27/11/2007 par François Bergeron

Jean Chrétien a raison: c’est à la police qu’il faut confier le mandat d’enquêter sur les affaires de corruption politique et de porter des accusations précises qui seront débattues devant un tribunal s’il y a lieu, pas à des enquêtes publiques dispendieuses qui tournent rapidement au cirque médiatique.

L’ancien Premier ministre libéral, éclaboussé par le scandale des commandites ressassé par l’enquête Gomery en 2005, qui a coûté l’élection de 2006 à son successeur Paul Martin, commentait récemment l’affaire des 300 000 $ en argent liquide remis par le lobbyiste allemand Karlheinz Schreiber à l’ancien Premier ministre conservateur Brian Mulroney en 1993 et 1994.

Outre la police, nos députés élus, qui sont membres de comités parlementaires touchant à toutes les activités gouvernementales, peuvent également choisir de se pencher sur des problèmes précis, entendre des témoins, examiner des documents, produire des rapports, faire des recommandations et en saisir la justice ou d’autres juridictions.

Comment parviendra-t-on à valoriser le travail de nos élus, à entretenir la confiance des citoyens envers nos institutions démocratiques, si les controverses ou les dossiers difficiles sont toujours confiés à des contractuels?

Toronto est déficitaire: on demande à un panel de gens d’affaires et d’universitaires d’examiner le budget. L’Ontario songe à réformer son système électoral: on crée une assemblée de citoyens «ordinaires» pour considérer les alternatives. Hérouxville interdit la lapidation: le Québec envoie deux philosophes en tournée chez les immigrants et les pure-laine…

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Le Premier ministre Stephen Harper a annoncé la tenue d’une nouvelle enquête, qui pourrait coûter des dizaines de millions de dollars, pour faire la lumière sur les allégations contradictoires de Schreiber – accusé d’évasion fiscale et de trafic d’influence en Allemagne et luttant contre une procédure d’extradition. Harper a même demandé à un universitaire de déterminer les paramètres de la future enquête: une enquête sur l’enquête!

Harper aurait pu expédier tout cela plus rapidement en convoquant personnellement Mulroney à son bureau pour s’expliquer une fois pour toutes et, ensemble, présenter au grand public une version définitive des faits, par exemple au cours d’une conférence de presse.

Mulroney aurait également pu demander à être entendu par le comité parlementaire sur l’éthique et, encore là, s’expliquer et s’excuser de son manque de jugement dans cette affaire. Il aura finalement l’occasion de le faire parce que les partis d’opposition se sont ligués pour saisir le comité de cette affaire avant les élections, mais le gouvernement aurait pu privilégier cette voie lui-aussi.

Mieux, l’ancien Premier ministre aurait pu désamorcer cette controverse en y consacrant un chapitre dans ses mémoires publiées cet automne.

C’est ce qu’il tente de faire maintenant, malheureusement encore indirectement, par l’entremise de son porte-parole Luc Lavoie, qui dit à qui veut l’entendre que l’ancien Premier ministre regrette amèrement avoir accepté ces «avances» totalisant 300 000 $ en argent liquide peu après avoir quitté le pouvoir.

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Lavoie prétend que Mulroney était stressé parce qu’il n’était pas encore fixé sur son avenir professionnel et sur sa sécurité financière… Décidément, la définition de la pauvreté varie beaucoup d’un milieu à l’autre!

Mulroney devait représenter quelques futurs clients de Schreiber auprès des autorités fédérales et l’aider à lancer un commerce. Schreiber veut maintenant récupérer ses 300 000 $, estimant que Mulroney ne lui a finalement servi à rien… Suite à la défaite retentissante des Conservateurs en 1993, à quoi s’attendait-il?

Tout cela était connu depuis quelques années, à l’exception de la récente lettre de Schreiber au Premier ministre Harper révisant sa propre chronologie des faits. On n’a jamais prouvé que l’argent du lobbyiste allemand venait récompenser un contrat gouvernemental octroyé sous le régime Mulroney à Airbus. Le gouvernement Chrétien a versé 2,1 millions $ en dédommagements à Mulroney en 1995 pour avoir suggéré une telle chose dans une lettre au ministère suisse de la Justice.

On est très loin du scandale des commandites, où des dizaines de millions de dollars en subventions et en publicité gouvernementales étaient détournés vers le Parti libéral et vers des agences de promotion de l’unité canadienne au Québec.

Il est possible que l’enquête Gomery ait fouillé le dossier mieux que ne n’aurait fait la police ou un comité parlementaire. Mais il est possible aussi qu’en retroussant leurs manches et en s’attaquant aux problèmes eux-mêmes, nos élus sortent de l’anonymat et de l’insignifiance dans lesquelles ils se complaisent depuis trop longtemps.

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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