5% de francophones. Really?

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Publié 20/11/2012 par Guillaume Garcia

L’ex-ministre des Affaires civiques et de l’Immigration et candidat à la chefferie du Parti libéral de l’Ontario, Charles Sousa, déposait, lundi 5 novembre, un rapport intitulé Une nouvelle orientation: Stratégie ontarienne en matière d’immigration. Destination privilégiée des immigrants depuis toujours, l’Ontario cherche à diversifier son immigration en favorisant les travailleurs qualifiés et pose un geste fort en visant 5% d’immigrants francophones, qui rejoint une recommandation émise par François Boileau, commissaire aux services en français, dans son dernier rapport annuel.

En 2011, l’Ontario a reçu 40% de tous les immigrants au Canada, sa plus faible proportion en 30 ans. De plus, le gouvernement fédéral ne permet à l’Ontario de choisir directement que 3,5% de ses immigrants et immigrantes économiques grâce à son Programme de désignation des candidats de la province, comparativement à une moyenne de 54 % pour les autres provinces.

Ce constat fait, l’Ontario revendique le droit de prendre les rênes de son immigration.

Pour Alain Ngouem, chargé de cours et chercheur associé au Centre de recherches en éducation franco-ontarienne (CREFO), cette stratégie est «une main tendue au fédéral pour pouvoir sélectionner ses propres immigrants».

L’Ontario souhaite hausser la proportion d’immigrants et d’immigrantes «économiques» jusqu’à 70% par rapport au niveau actuel de 52%, pour s’aligner sur la proportion d’immigrants économiques des autres provinces, notamment par le biais du Programme de nomination provincial.

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Ce programme, mis en place de plusieurs autres provinces, comme le Manitoba et la Saskatchewan, permet de mieux choisir son immigration compte tenu des besoins spécifiques des provinces.

«C’est un programme qui fonctionne bien dans d’autres provinces. C’est vrai que l’Ontario est un peu en retard là-dessus», explique Rodéric Baujot, professeur de Sociologie et spécialiste de l’immigration à l’Université Western Ontario.

Aujourd’hui, une véritable compétition naît entre les provinces pour attirer les meilleurs candidats à l’immigration et l’Ontario, qui ne maîtrise que 3,5 % de son immigration économique, souhaite doubler son programme de désignation provinciale, pour atteindre 2000 candidats en 2013 et 5000 en 2014.

«C’est prévu dans la loi que les provinces soient impliquées dans les politiques d’immigration. Le Québec est celle qui est entrée le plus vite dedans», poursuit-il.

«Pendant longtemps, l’Ontario n’avait pas de stratégie d’immigration. On devait trouver que les choses s’arrangeaient bien avec le fédéral», poursuit-il.

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Cependant, il pense que la stratégie de l’Ontario reste «très générale». «Il y a beaucoup d’objectifs, mais on ne dit pas comment les atteindre.»

Un seul point d’entrée

Historiquement, le gouvernement fédéral choisit la grande majorité des immigrants et immigrantes qui peuvent venir en Ontario, mais durant les dernières années, il a réduit considérablement le nombre autorisé à s’établir ici.

Rodéric Baujot met en avant le fait que chez les provinces, «on veut plus d’immigrants, mais c’est le fédéral qui paie». «Si les provinces payaient, voudraient-elles autant d’immigrants, et surtout lesquels?», réfléchit-il.

Selon le chercheur spécialiste de l’immigration, l’immigration actuelle est assez diversifiée et fonctionne bien. «J’aimais le système ancien où le fédéral gérait davantage, où tout passait par un même point d’entrée.»

Alors que l’Ontario souhaite obtenir davantage d’immigrants qualifiés de la part du fédéral, Rodéric Baujot indique qu’il manque un aspect critique dans les politiques d’immigration du Canada. «Il y a les intérêts des employeurs. Plus il y a d’immigrants, moins on les paie. Et il y a l’intérêt de la population, des jeunes par exemple. Est-ce que les universités jouent leur rôle? (de formateur, ndlr)»ww

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De l’autre côté, le rapport souligne que «la sous-utilisation des compétences étrangères coûte entre 3,4 et 5 milliards $ au Canada en perte de productivité», selon les chiffres de 2004 de la Conference Board of Canada.

Avec une population qui vieillit et un taux de natalité bas, l’Ontario devrait connaître un manque de main-d’œuvre assez rapidement, note le rapport et en fait un argument massue pour convaincre le fédéral de lui délier les mains en matière d’immigration.

Travailleurs qualifiés

Pour Alain Ngouem, qui attendait un tel rapport «depuis quelque temps», la stratégie ontarienne «s’aligne sur le fédéral».

«On cherche des travailleurs qualifiés, hautement qualifiés, comme dans la catégorie de l’expérience canadienne, et les autres catégories ne sont pas négligées, mais pas loin. Même dans les secteurs qualifiés, on cible selon les besoins.»

Pour les gouvernements, qu’ils soient fédéral ou provincial, les travailleurs hautement qualifiés représentent du pain béni. Ils s’intègrent vite, peuvent rapidement entrer sur le marché du travail et, surtout, coûtent beaucoup moins en programmes de soutien aux nouveaux arrivants.

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Sur la précision du rapport, Alain Ngouem ne fait pas la même lecture que Rodéric Baujot. «C’est un document très important, je le trouve très clair, avec des cibles claires et une orientation alignée avec le fédéral. C’est un document avec lequel on peut mettre en place des plans d’action.»

8000 nouveaux Francos par an

Outre la volonté du gouvernement ontarien d’augmenter le nombre de ses immigrants qualifiés, le rapport avance l’objectif de 5% pour l’immigration francophone, ce qui a fait réagir la communauté.

Léonie Tchatat, directrice générale de La Passerelle I.D.É. a participé à la Table ronde d’experts sur l’immigration pour représenter les francophones.

«La communauté peut se réjouir de ces 5%. C’est ma recommandation. Cette stratégie devrait toucher les Ontariens et les 8000 francophones qui arrivent par an.» Elle attend maintenant de voir comment «la mise en oeuvre de cette stratégie va s’organiser. »

Si l’annonce a fait grand bruit et ravit les francophones, Alain Ngouem, spécialiste de la question, rappelle que le fédéral aussi possède une cible de 4,4 % d’immigration francophone. «Les 4,4 % n’ont pas été atteints, et 4 %, 5 %, c’est la même cible.»

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Marie-France Kenny, de la FCFA, se réjouit toutefois de la mise en place d’un tel objectif. «C’est essentiel que les provinces mettent des cibles. Le Manitoba a une cible de 7%, mais la cible nationale c’est 4,4%.» Elle revendique également la responsabilité du fédéral pour se donner les moyens d’assurer les 4,4% d’immigration francophone, qui s’élève en ce moment à seulement 1,8%.

«Il faut s’assurer qu’on a les moyens de faire l’immigration francophone.» Elle précise qu’elle n’a pas oublié de rappeler aux différents ministres de l’Immigration, qui se sont rassemblés il y a quelques jours, d’inclure un volet francophone dans leurs stratégies d’immigration.

Denis Vaillancourt, président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) espère voir du changement à moyen terme, d’ici cinq ans. «Pour nous l’objectif de 5% c’est une bonne nouvelle. Pour la première fois, on répond à la recommandation du commissaire. Il y a maintenant une politique déclarée. On peut dire aux nouveaux arrivants qu’il y a une possibilité de vivre en français en Ontario. »

Denis Vaillancourt compte sur les partenariats qui pourraient être passés entre l’Ontario et le fédéral pour atteindre la cible des 5%. «On a des organismes, surtout dans le Centre-Sud, et à Ottawa, qui travaillent pour accueillir les francophones. Il faut être proactif, et se servir de cette expérience», poursuit Denis Vaillancourt, en notant toutefois que tout dépend de la volonté du fédéral et que l’AFO peut peser dans la balance. «Il faut une complicité entre l’Ontario et le fédéral. Nous on peut appuyer dans ce sens.»

Sur son blogue, François Boileau, le commissaire aux services en français, fait écho à la position de l’AFO et de la FCFA. «Excellente nouvelle: le gouvernement fixe à 5% la cible à atteindre pour l’immigration francophone. Cela contribuera assurément à la vitalité et au développement de la communauté francophone.»

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Étudiants internationaux

Globalement, la stratégie de faire venir des immigrants qualifiés en Ontario pourrait «favoriser les francophones», indique Alain Ngouem. «Il y a eu des mises en place de recrutement en Afrique, et en Europe et les Collèges et Universités augmentent leur recrutement en français. Les étudiants internationaux correspondent à la cible de l’expérience canadienne.»

Alain Ngouem suggère à l’Ontario de mettre en place un plan spécifique pour favoriser l’immigration francophone.

Rodéric Baujot reste, quant à lui, sur sa faim par rapport à ce chiffre de 5%. «Il y a l’objectif, mais on ne dit pas comment y arriver. D’ailleurs même au Québec, ils n’arrivent pas forcément à ce qu’ils veulent atteindre.»

Reste maintenant au fédéral et au provincial de négocier les possibilités de mise en place de cette stratégie pour ne pas qu’elle reste dans les tiroirs, ce que redoute Alain Ngouem. Selon lui, le gouvernement fédéral compte, pour le moment, «garder la mainmise sur l’immigration.»

Charles Sousa a démissionné de son poste de ministre des Affaires civiques et de l’Immigration, c’est maintenant Michael Chan qui le remplace depuis le 9 novembre dernier et qui doit s’atteler aux négociations avec Ottawa.

Auteur

  • Guillaume Garcia

    Petit, il voulait devenir Tintin: le toupet dans le vent, les pantalons retroussés, son appareil photo en bandoulière; il ne manquait que Milou! Il est devenu journaliste, passionné de politique, de culture et de sports.

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