Chat en poche, un vaudeville

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Publié 13/12/2011 par Martin Francoeur

Je vous ai déjà parlé de ma passion pour le théâtre, il me semble. Depuis une vingtaine d’années, je monte régulièrement sur les planches avec une troupe locale à Trois-Rivières. Ces temps-ci, j’ai le plaisir de jouer dans une comédie de Georges Feydeau, le maître incontesté du vaudeville, des quiproquos et des entourloupettes amoureuses.


La pièce s’intitule Chat en poche. Dès qu’on m’a approché pour faire partie de la distribution de cette pièce, le titre m’a intrigué. C’est une expression que je ne connaissais pas. Et je trouve aujourd’hui qu’elle est une des plus riches de la langue française.


Acheter chat en poche, c’est acheter un objet sans l’avoir vu, avec ce que cela implique comme risque de se faire berner. Dans la pièce de Feydeau, l’histoire tourne autour d’un bourgeois qui, désireux de faire jouer un opéra composé par sa fille, embauche un ténor à l’avenir prometteur. Mais il n’a pas vu ce ténor et c’est par le biais d’un ami à Bordeaux qu’il le dépêche à Paris pour le mettre sous contrat.


Arrive alors chez lui un jeune homme, que le bourgeois en question prend tout de suite pour le ténor en question. Il s’agit plutôt du fils de l’ami en question, venu à Paris pour ses études. On imagine la série de quiproquos qui en découlent… Dans ce contexte, le bourgeois Pacarel a fait signer un contrat à un ténor qui n’en est pas un, pressé de faire jouer l’opéra de sa fille et d’accéder à la notoriété. La pièce se termine par la réplique suivante: «Voyez vous, mes amis, que vous achetiez des navets ou que vous traitiez avec un ténor… demandez toujours à voir la marchandise… On ne sait jamais ce que l’on risque à acheter chat en poche.»


Une petite recherche nous permet d’apprendre que l’expression chat en poche est apparue en français au début du XVe siècle. Ce n’est donc pas d’hier que des vendeurs peu scrupuleux profitent de la naïveté d’acheteurs empressés ou ignorants…


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Dans ce cas-ci, le mot poche désigne un sac, une besace. L’expression prend alors tout son sens. Un acheteur se procure un bien dissimulé dans un sac, sans le voir auparavant, avec une confiance aveugle.


Le site web www.expressio.fr nous dit que «bien sûr, acheter un chat caché dans un sac sans y jeter un oeil au préalable, ce n’est pas prendre le risque de se faire refiler un éléphant ou une musaraigne, la taille et le poids du sac pouvant immédiatement provoquer quelques doutes dans l’esprit de quelqu’un de pas trop benêt; mais c’est prendre celui de récupérer un animal borgne, malade, estropié ou, pire encore, une bestiole d’un autre type, mais de taille et poids approchant comme un furet, par exemple.»


Dans certains forums de discussion, où on élabore sur l’origine de l’expression. On avance même qu’elle viendrait plus précisément de la situation selon laquelle un acheteur souhaite se procurer non pas un chat, mais bien un cochon de lait. Et le vendeur lui refile un chat errant, fourré dans un sac. L’acheteur imprudent ne vérifie pas la marchandise qu’il souhaite acheter et le voilà victime d’avoir acheté chat en poche.


La version anglaise de cette expression to buy a pig in a poke ou acheter un cochon en sac, révèle d’ailleurs cette hypothèse.


Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’expression illustre l’intention, alors que la version française (acheter chat en poche) nous donne le résultat.


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Il est intéressant de noter que cette situation pourrait avoir donné naissance à une autre expression bien connue: le chat sort du sac.


Si l’acheteur se donne la peine de vérifier le contenu du sac que lui a refilé le marchand (de cochons de lait, par exemple) avant de quitter le marché, et qu’il constate que c’est un chat qui s’y trouve, il pourra alors réclamer le bien qu’il souhaite réellement se procurer.


L’expression anglaise to let the cat out of the bag, qui a son équivalent en français, viendrait de ce contexte.


Quant à l’expression acheter (ou vendre) chat en poche, on la retrouve – parfois avec des variantes (acheter le chat dans le sac, acheter un cochon dans un sac, acheter dans l’obscurité, acheter le poisson dans la mer, etc.) – dans plusieurs autres.


Mon souhait, en cette période de course folle aux cadeaux de Noël, est que vous n’achetiez surtout pas chat en poche…


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Bon magasinage!

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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