Des établissements de qualité, pas des «moulins à diplômes», demandent les enseignants

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Publié 14/03/2006 par Marta Dolecki

Pancartes en main, les enseignants des 24 collèges ontariens entament officiellement leur deuxième semaine de grève. La dispute qui oppose le Conseil des collèges au syndicat représentant les 9 100 enseignants, conseillers et bibliothécaires de la province porte sur la réduction des effectifs de classe ainsi que sur une diminution de la charge de travail des professeurs.

Les deux parties sont dans l’impasse. Les pourparlers ont cessé et la grève se poursuit jusqu’à nouvel ordre. Le syndicat des enseignants indique que la session d’hiver pourrait être rallongée d’une semaine afin de rattraper le temps perdu. Sur le terrain, L’Express est allé à la rencontre des enseignants qui ont quitté les salles de classe pour ériger leurs piquets de grève devant les collèges un peu partout dans la province.

Au Collège Boréal, ils sont une petite dizaine à multiplier les allers-retours devant le campus de Toronto, à l’intersection des rues Carlaw et Mortimer. Il y a ceux présents sur les lieux dès 7h du matin, ceux qui les relaient vers 10h et, enfin, ceux qui viendront leur prêter main forte plus tard dans l’après-midi.

Une casquette vissée sur la tête, les doigts bien au chaud dans des gants imperméables, Yvan Morency est fin prêt, paré pour cette nouvelle journée de grève. Arrivé de bon matin, il en profite pour faire une pause près de la machine à café. Comme ses collègues enseignants, les revendications de ce professeur en santé et soins infirmiers portent avant tout sur une éducation de meilleure qualité.

«C’est sûr qu’ici, au Collège Boréal à Toronto, nous sommes encore un campus en développement. On ne connaît pas les mêmes difficultés que les autres collèges de la province, admet Yvan Morency. Cependant, nous appuyons leurs revendications concernant la réduction des effectifs de classe. Nous aussi, dans le futur, nous risquons de nous retrouver avec le problème des classes à 28 élèves quand le campus de Toronto aura atteint son plein potentiel. Il faut y penser maintenant. Plus vous avez d’étudiants, plus vous passez du temps à corriger des épreuves et moins vous en avez pour développer les plans de cours et les programmes correctement.»

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Revoir le temps de préparation

Yvan Morency déclare, que si les professeurs en poste dans les collèges communautaires sont, en théorie, censés effectuer 44 heures de travail par semaine, dans la pratique, ils travaillent beaucoup plus. «Il nous faut vulgariser le matériel qui nous parvient pour le rendre accessible à l’élève. Il très rare, par exemple, qu’un cours nous arrive, déjà formaté en Powerpoint. Il faut prendre du temps pour le faire nous-mêmes», explique le professeur. «Le temps de préparation est facilement doublé par rapport au nombre d’heures énoncées sur papier», note M. Morency.

Jean-Pierre Bélanger est le président de la section 673 du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO). Dans le présent conflit, il agit à titre de représentant du personnel enseignant de Boréal. Selon M. Bélanger, le temps est venu de revoir les charges de travail des enseignants, inchangées depuis 1984.

«Les facteurs de préparation et d’évaluation ne reflètent pas la réalité de 2006, fait-il valoir à ce propos. L’enseignement dans le système collégial a beaucoup évolué depuis 20 ans. Nous demandons un temps de préparation qui prenne en considération l’enseignement en format électronique, les vidéoconférences, les présentations PowerPoint, toutes ces nouvelles technologies qui sont devenues populaires et qui n’existent pas dans la présente charge de travail.»

Jean-Pierre Bélanger indique que la taille des classes n’est pas un enjeu en soi au Collège Boréal. Mais pour d’autres enseignants qui travaillent dans les collèges anglophones, le nombre d’élèves par classe est l’une des principales revendications au cœur de la dispute. «Je me suis souvent retrouvée avec des classes de 45 élèves», s’exclame Mary Ellen Kapler, professeure de littérature anglaise au Collège Humber à Toronto. La qualité de l’enseignement s’en ressent. Les étudiants ne bénéficient pas de toute l’attention dont ils ont besoin.»

«Plus vous accordez d’attention à vos étudiants et mieux ils s’en portent», ajoute sa collègue Suzanne Senay, une professeure de philosophie qui dit parfois jongler avec des classes de 40 élèves. «Si vous ne pouvez pas leur apporter un soutien individuel, développer leurs capacités à l’écrit et à l’oral en même temps que leurs connaissances, ce n’est plus de l’enseignement que vous faites. L’établissement devient un moulin à diplômes. Parfois, c’est vraiment frustrant d’avoir autant de copies à corriger et de ne pas pouvoir prêter attention à des notions fondamentales telles que la grammaire, l’orthographe et la ponctuation.»

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Les étudiants font les frais de la grève

Les négociations entre le SEFPO et le Conseil des 24 collèges de l’Ontario ont été rompues vers 22h, le lundi 6 mars dernier. Après quatre journées de pourparlers, les deux parties ne sont pas parvenues à s’entendre. Au cœur du litige, deux visions s’affrontent.

Le syndicat réclame plus d’enseignants à temps plein ainsi qu’une réduction du nombre d’élèves de 30 à 25 par classe. Le Conseil, lui, rétorque que le nombre actuel d’élèves, 28 par classe, est acceptable au regard des normes provinciales. En l’état actuel des choses, le Conseil déclare qu’il ne peut se permettre d’embaucher de nouveaux professeurs. À la place, il propose aux enseignants une augmentation de salaire de 12,6% étendue sur quatre ans. Les deux parties sont sans contrat de travail depuis le 31 août 2004.

C’est la troisième fois dans l’histoire de la province que les collèges subissent les contrecoups d’une grève. Les deux premières avaient duré trois semaines en moyenne. Lors de la grève de 1984, c’est la province qui avait ordonné le retour au travail des enseignants. En 2006, c’est la première fois qu’une grève a lieu à moins de deux mois des examens de fin d’année.

«C’est vraiment malheureux que les étudiants se retrouvent ainsi pris en otage, entre le syndicat et le patronat», remarque Kevin Bourns, professeur à George Brown. Cette grève va sûrement interférer avec leur emploi d’été si jamais ils doivent rattraper le temps perdu. Beaucoup d’entre eux comptent sur l’argent amassé pendant ces quatre mois pour payer leurs frais de scolarité pendant l’année», remarque-t-il.

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