Jeux d’argent et de hasard: la bête noire de l’économie

340 000 Ontariens et un gouvernement en sont dépendants

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Publié 07/03/2006 par Marta Dolecki

«Ah si j’étais riche…» Qui n’a pas rêvé, un jour, d’empocher le fameux gros lot avec, à la clef, la possibilité d’acheter une belle maison, de prendre une année sabbatique ou, tout simplement, d’arrondir ses fins de mois, à l’abri de tout souci financier.

Les publicités de l’industrie du jeu vendent du rêve, des images lascives de plages désertes, les visages souriants des heureux gagnants du Loto Super 7. Elles sont financées par le gouvernement ontarien qui, chaque année, investit des centaines de millions dans la promotion des jeux d’argent et de hasard.

Les revers de la médaille? On estime qu’il y a, en Ontario, 340 000 personnes qui ont des problèmes de jeu modérés ou graves. Le jeu pathologique vient se classer parmi les problèmes de santé publique.

Comme dans tout jeu de hasard, les chances de gagner sont moindres, sauf pour le gouvernement. Face à ce fléau social, la province a-t-elle les moyen de se priver des sommes colossales rapportées par les jeux d’argent et de hasard?

Le culte du jeu

En 1994, la province inaugurait son premier casino à Windsor. Depuis, elle a ouvert trois autres casinos commerciaux, six casinos de bienfaisance et casinos autochtones, 16 salles de machines à sous situées dans les 18 hippodromes autorisés de la province.

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Au fil des années, en Ontario comme partout ailleurs, les jeux de hasard sont devenus plus accessibles, étant disponibles aux quatre coins de la province. Or de nombreuses études font état d’une incidence directe entre la disponibilité du jeu et l’accroissement du nombre de joueurs compulsifs, soutient Judith Glynn-Williams, porte-parole pour le Centre de recherche sur les problèmes de jeu en Ontario.

L’industrie du jeu va bon train et essaie d’attirer à elle toute une clientèle. Ainsi, un premier voyage aller-retour de Toronto à Niagara Falls, organisé par le casino de Niagara, coûte environ 20 $.

Une fois que les visiteurs s’engouffrent dans le casino et découvrent toute la palette de jeux proposés, ils reçoivent un coupon promotionnel, sorte de «bon fidélité». S’ils reviennent au casino, le coupon leur donnera l’opportunité de faire le voyage Toronto-Niagara pour la modique somme de 5 $.

Rôle du gouvernement et responsabilité des organismes

En Ontario, plus de 20 000 emplois sont directement liés aux jeux de hasard. Le monde des jeux est un commerce comme un autre, soumis à la loi de la rentabilité et du profit.

En attendant, ce sont les joueurs compulsifs qui paient les pots cassés. Selon un rapport rendu public en 2004, la province récoltait 35% de ses revenus du jeu auprès de ces mêmes joueurs pathologiques. En contrepartie, pour l’année 2004-2005, le gouvernement a alloué 36 millions $ aux programmes de lutte contre le jeu compulsif.

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Le paradoxe est ici évident: d’un côté, le gouvernement provincial génère son argent des bénéfices amassés par l’industrie du jeu, un business lucratif qui vient renflouer ses coffres à raison de 2 milliards $ par an.

De l’autre, il tente d’encourager le jeu responsable en octroyant de 2 à 3% de ces mêmes revenus aux programmes d’aide et de prévention destinés à lutter contre le jeu excessif. Le mariage entre les deux est-il aussi bon qu’il devrait l’être?

«C’est sûr que le gouvernement doit faire face à un conflit inhérent, car il dépend lourdement de l’industrie du jeu. Cependant, en tant que citoyens, nous sommes en droit d’attendre que ce même gouvernement nous protège», fait valoir Judith Glynn-Williams.

«Chaque jour, nous sommes bombardés de publicités télévisées, de messages qui transforment les joueurs de poker en stars d’un soir [cf. l’émission Celebrity Poker]. Si nous reconnaissons le fait que les jeux de hasard constituent un danger, nous nous devons de les promouvoir d’une manière socialement responsable. Il faudrait moins miser sur les jeux d’argent et de hasard comme source de revenus et parler davantage des ravages qu’ils peuvent occasionner.»

La prévention, remède timide contre le jeu compulsif?

Ce qui est fait dans une certaine mesure. Afin de prévenir le jeu excessif, le Conseil du jeu responsable (CJR) a lancé la semaine dernière une vaste campagne de prévention intitulée Zone limite. Pour la première fois, les publicités visant à avertir les consommateurs des dangers du jeu sont disponibles en 10 langues, dont le français et l’anglais. La campagne s’inscrit dans le cadre du Mois de la prévention du jeu problématique.

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«Pendant tout le mois de mars, nous allons diffuser des encarts publicitaires dans les journaux. On va se déplacer aux endroits où il y a des joueurs, dans les casinos, les salles de bingo, pour faire de la prévention et de la sensibilisation à grande échelle», précise Rachel Fraser, coordinatrice de projet pour le CJR. La campagne de prévention du CJR, financée par la province, a coûté la somme de 1,5 millions $.

En 2005, le gouvernement de l’Ontario a décidé d’investir 4 millions $ dans des campagnes de sensibilisation au cours des deux prochaines années. Présentement, les joueurs pathologiques peuvent appeler la Ligne ontarienne d’aide sur le jeu problématique, ou, encore, se rendre dans l’un des 47 organismes de traitement de dépendance au jeu mis à leur disposition par le gouvernement provincial.

La plupart des organismes qui luttent contre le jeu compulsif, comme le Conseil du jeu responsable, sont financés par le gouvernement provincial, par l’intermédiaire du ministère de la Santé et des Soins de longue durée.

D’une certaine manière, ils dépendent du gouvernement. Quand on leur pose la question de savoir si le gouvernement de l’Ontario en fait assez en matière de lutte contre le jeu excessif, ils répondent par l’affirmative, ou encore, que ce n’est pas à eux de juger.

Quand on leur pose la question de savoir si le jeu compulsif peut être considéré comme une maladie mentale, ils répondent que c’est un terme qu’ils n’aiment pas utiliser parce qu’il évoque un stigma, ou, encore, pénalise les joueurs. On préfère à la place parler de prévention, de sensibilisation et de jeu responsable.

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Jeu responsable… Bill Clark, membre d’un groupe de lobby critiquant les casinos, Gambling Watch Ontario, trouve l’expression quelque peu contradictoire, voire ironique. Pour cet ancien pharmacien de North Bay maintenant à la retraite, le jeu compulsif est une dépendance comme une autre.

«Utiliser le terme ‘‘joueur responsable’’ n’est pas honnête», défend-il. «Un accroc responsable au jeu, je n’ai jamais vu ça. Avez-vous connu quelqu’un de responsable quand il est intoxiqué? Personnellement, je n’ai jamais vu quelqu’un se faire tuer sur la route par un alcoolique responsable.»

Bill Clark soutient qu’il faudrait plutôt appeler un chat un chat et que ces mêmes organismes qui s’occupent des joueurs compulsifs sont parfois limités dans ce qu’ils peuvent dire aux médias.

«Il y a eu un article de La Presse canadienne à ce sujet qui dit que si le gouvernement contrôle votre budget, alors il contrôle aussi ce que vous avez à dire», avance Bill Clark. Selon lui, il faudrait bannir totalement les machines à sous des casinos et hippodromes de la province. Seulement, dans ce cas de figure, les profits ne tomberaient plus dans les caisses du gouvernement.

«Cela a déjà été fait aux États-Unis. Dans deux États, on a supprimé complètement les machines à sous. La fréquence des appels reçus par les Joueurs anonymes a alors diminué de 70% en trois mois. Peut-être que si l’on faisait la même chose en Ontario, ça nous permettrait de réduire les 5% de joueurs pathologiques qui alimentent 35% des revenus de la province», conclut le porte-parole de Gambling Watch Ontario.

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