Après s’être concentré, depuis plusieurs années, sur des projets plus intimistes, où il se retrouvait seul au piano ou accompagné d’un quatuor à cordes, William Sheller renoue, sur Avatars (Universal), avec l’approche qui avait fait de lui le symphomane de la chanson française (le néologisme est de lui). À la confluence du rock et du grand orchestre, ce plus récent opus n’est pas sans évoquer les années 70, cette excessive époque où des tas de groupes – Deep Purple, Procol Harum, Emerson Lake & Palmer, pour ne nommer que ceux-là – se frottaient, avec plus ou moins de succès, aux musiciens en queue de pie.
Musicien de formation classique – c’est d’ailleurs lui qui signe les arrangements d’Avatars – William Sheller est aussi un maître de la chanson pop sophistiquée, du genre qui est assez complexe pour satisfaire les amateurs de rock progressif, mais assez accrocheuse pour qu’on la fredonne après une ou deux écoutes. Les histoires qu’il nous raconte, peuplées de personnages plus ou moins fantasques (la plantureuse Armande qui fait son music-hall, Lady Éloïse et ses histoires de chantage), nous emmènent dans un univers qui a peu d’équivalents depuis qu’Étienne Roda-Gil a gagné le paradis des paroliers. Mais le principal plaisir que nous procure Avatars tient au petit jeu d’identification des influences musicales, qu’il s’agissent des Beatles (La longue échelle emprunte sans vergogne la palette instrumentale de Stawberry Fields Forever) ou encore des Travelling Wilburys (la guitare slide de Tout ira bien rappelle le meilleur George Harrison).
Si ses derniers albums nous faisaient l’effet d’un musicien qui se contentait de faire du sur place, ce nouvel opus marque simultanément un retour aux sources et un pas en avant pour William Sheller. Et pour ce plaisir, on lui pardonne ses quelques excès – tout comme on lui pardonnera la grotesque pochette d’Avatars.
Caïman Fu, chapitre trois
Pour exercer ce métier de critique musical au-delà de la vingtaine, il faudrait disposer d’une machine à rajeunissement, question d’écouter toutes ces nouvelles galettes avec les oreilles de ceux et celles à qui elles sont destinées. C’est ce que je me disais en écoutant Drôle d’animal (Vox Tone/DEP), le troisième album de Caïman Fu. Heureusement que nous vivons à l’âge où, comme on dit, rien ne se perd, rien ne se crée, et tout se recycle: ça me permet d’évaluer la démarche du quintette québécois à la lumière des disques du même genre qui avaient servi de bande-son à ma propre adolescence (je pense au Cure, à Blondie ou à Nina Hagen – les débordements opératiques en moins).
Et vue sous cette optique, la musique de Caïman Fu se défend honorablement.